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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/457

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LIVRE TROISIÈME.

Commynes, surtout Amyot, qu’il caractérise et célèbre en des termes incomparables, par une louange vraiment généreuse. Mais il ne s’asservit à aucun, et écrit à sa façon, usant à bon droit de l’anarchie d’alors :

« Il en est de si sots qu’ils se destournent de leur voye un quart de lieue pour courir aprez un beau mot..,. Je tors plus volontiers une bonne sentence pour la coudre sur moy, que je ne destourne mon fil pour l’aller quérir. Au contraire, c’est aux paroles à servir et à suyvre. Et que le gascon y arrive, si le françois n’y peult aller… Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche, un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brusque :

Hæc demum sapiet dictio, quæ feriet ;

plustost difficile qu’ennuyeux, esloigné d’affectation ; desréglé, descousu et hardy : chasque loppin y face son corps ; non pedantesque, non fratesque, non plaideresque, mais plustost soldatesque… »[1]
(Et ailleurs, parlant du gascon, des hautes-terres, il semble définir sa propre langue, son vrai style : ) « Il y a bien au-dessus de nous, vers les montaignes, un gascon que je treuve singulièrement beau, sec, bref, signifiant, et, à la vérité, un langage masle et militaire plus qu’aultre que j’entende, aultant nerveux, puissant et pertinent, comme le françois est gracieux, délicat et abondant.[2]

Ce François si bien qualifié, et qui sent sa plaine, c’est Amyot ; ce Gascon, c’est lui.

Car il y avait, à cette seconde époque du seizième siècle, et malgré l’anarchie qu’aujourd’hui nous y reconnaissons, une manière de langue centrale, et qui se

  1. Livre I, chapitre XXV. Ne sent-on pas l’entrain venir ? L’écho s’en mêle, le redoublement jaillit et fait cascade : il y a du lyrique dans Montaigne. — Je m’étais amusé à noter et à rassembler une foule de traits qui dépeignent en lui ce lyrisme, ce que les poètes appellent la sainte manie ; mais il faut se borner.
  2. Livre II, chapitre XVII.