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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/461

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LIVRE TROISIÈME.

taigne l’a dit, c’est le contraire du vieil adage routinier, le maître l’a dit, et on l’accepte d’autant mieux.

Nous finissons. Toute cette gloire et ce bonheur de Montaigne, cette influence que nous pourrions suivre et dénoter encore par reflets brisés en plus d’un de nos contemporains, cette louange mondaine universelle, et la plus flatteuse peut-être où l’on ait atteint, parce qu’elle semble la plus facile et qu’elle a usé bien des colères, tout cela me remet le grand but en idée ; et nous qui venons d’assister au convoi et aux funérailles de M. de Saci, je me demande ce que seraient à nos yeux les funérailles de Montaigne ; je me représente même ce convoi idéal et comme perpétuel, que la postérité lui fait incessamment. Osons nous poser les différences ; car toute la morale aboutit là.

Montaigne est mort : on met son livre sur son cercueil ; le théologal Charron et mademoiselle de Gournay, — celle-ci, sa fille d’alliance, en guise de pleureuse solennelle, — sont les plus proches qui l’accompagnent, qui mènent le deuil ou portent les coins du drap, si vous voulez. Bayle et Naudé, comme sceptiques officiels, leur sont adjoints. Suivent les autres qui plus ou moins s’y rattachent, qui ont profité en le lisant, et y ont pris pour un quart d’heure de plaisir ; ceux qu’il a guéris un moment du solitaire ennui, qu’il a fait penser en les faisant douter ; La Fonlaine, madame de Sévigné comme cousine et voisine ; ceux comme La Bruyère, Montesquieu et Jean-Jacques, qu’il a piqués d’émulation, et qui l’ont imité avec honneur ; — Voltaire à part, au milieu ; — beaucoup de moindres dans l’intervalle, pêle-mêle, Saint-Évremond, Chaulieu, Garat…, j’allais nommer nos contemporains, nous tous peut-être qui suivons… Quelles funérailles ! s’en peut-il humainement de plus glorieu-