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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/467

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LIVRE TROISIÈME.

où les mots sont changés en mots, et non les lettres en lettres : de sorte qu’une langue inconnue est déchiffrable.»

On a senti d’abord combien cette éducation, autant, que cette forme d’esprit, fait contraste avec ce que nous savons de Montaigne, qui apprend le latin en nourrice, n’est astreint à aucune réflexion suivie, et fait tout par atteintes ; l’autre, par étreintes.[1]

Écoutons encore madame Périer nous définir cette forme première, cette forme maîtresse de l’esprit de son frère, que l’institution ne fit qu’aider et accomplir :

«Après ces connoissances, mon père lui en donna d’autres ; il lui parloit souvent des effets extraordinaires de la nature, comme de la poudre à canon, et d’autres choses qui surprennent quand on les considère. Mon frère prenoit grand plaisir à cet entretien ; mais il voulait savoir la raison de toutes choses, et comme elles ne sont pas toutes connues, lorsque mon père ne les disoit pas, ou qu’il lui disoit celles qu’on allègue d’ordinaire, qui ne sont proprement que des défaites, cela ne le contentoit pas ; car il a toujours eu une netteté d’esprit admirable pour discerner le faux. Et on peut dire que toujours, et en toutes choses, la vérité a été le

  1. On pourrait suivre cette comparaison : tous deux élevés librement et d’une éducation volontiers domestique, chacun par les soins d’un père tout dévoué. Mais celui de Pascal était un homme de grand mérite, et le père de Montaigne était plutôt d’excellente intention, de nature allègre, amateur un peu leste des tours de force et nouveautés. (Ce père de Montaigne faisait le tour de la table, appuyé sur son pouce : c’est ce que son fils trouve moyen de nous apprendre.) Tous deux se décidèrent seuls, l’un sans grande étude, se jouant aux langues, pelotant les déclinaisons pour le grec, et se latinisant si à cœur joie, dès l’enfance, lui et toute la famille, et les gens, qu’il en regorgea, dit-il, jusques aux villages d’alentour, et qu’il en resta longtemps par le pays plus d’une appellation latine d’artisans ou d’outils. Quant à Pascal, immobile et renfermé, non dissipé aux mots, non satisfait non plus de sa libre et vagante pensée, il médite, il combine et creuse ; il refait Euclide avec des barres et des ronds, se géométrisant, et géométrisant toutes les murailles el les planchers de la maison, autant que l’autre se latinisait. On achève.