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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/480

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PORT-ROYAL.

intendant de cette généralité, conjointement avec M. de Paris, maître des Requêtes[1]. Le poste était difficile ; il y avait eu des troubles récents ; on avait pillé les bureaux de recettes. M. de Gassion partit avec des troupes[2] M. de Paris fut intendant pour les gens de guerre, et M. Pascal pour les tailles. De là les calculs, et la machine arithmétique du fils. Tout se rejoint.

C’est dans les premiers temps de ce séjour à Rouen que la jeune Jacqueline, suivant de son côté sa veine versifiante, je n’ose dire poétique, fit, d’après l’avis de

  1. L’un des ancêtres du diacre Paris, très-probablement.
  2. C’est ce qu’on appela la révolte des Va-nu-pieds. On se l’explique. La grande guerre que le roi avait sur les bras l’obligeant à d’excessives dépenses et à de continuelles levées d’impôts sur le peuple, on avait imaginé, pour forcer les récalcitrants, de mettre en pratique le principe de solidité ou solidarité : ainsi l’homme riche d’une paroisse, quoiqu’il eût payé sa taxe, pouvait être contraint et mis en prison pour la taxe des autres, jusqu’à ce qu’elle fût entièrement rentrée. Le plus aisé répondait pour tous. C’était procéder comme en pays conquis, où tout moyen est bon pour extorquer de l’argent. Plusieurs de ces honnêtes gens de campagne, ainsi maltraités et emprisonnés, bien qu’ayant payé leur quote-part, eurent recours au Parlement de Rouen et à la Cour des Aides qui leur donnèrent gain de cause. Les peuples, se sentant de l’appui, se soulevèrent contre les intendants et receveurs des tailles : ils élurent un chef qu’ils nommèrent hardiment Jean-vanu-pieds, faisant montre et drapeau de leur misère. C’est alors que le colonel Gassion fut envoyé pour châtier les mutins qui tenaient la Basse-Normandie (1639) ; il s’en acquitta en vrai soldat qu’il était. Il entra à Caen sans résistance ; mais, le gros des séditieux s’étant retranché dans Avranches, il s’y porta en force, enleva, non sans pertes, les barricades des faubourgs, et « prit et tua tout ce qui étoit dedans. Les prisonniers furent pendus, et ainsi cette canaille fut dissipée. » Ce sont les termes mêmes de Monglat dans ses Mémoires. Mais Coligny, dans les siens, ajoute (ce qui se conçoit aisément) que « Gassion ayant presque tout mis à sac dans le pays, les esprits étoient demeurés fort altérés. » — Quant à Pascal, dans sa fièvre de géométrie et d’invention, il ne parait avoir vu en tout cela que matière à chiffre, à calcul numérique et à mécanique savante. Les réflexions morales qu’il put faire ne vinrent qu’après.