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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/489

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LIVRE TROISIÈME.

taqué par une autre d’autant plus trompeuse qu’elle paroît plus honnête.
« C’est cette Curiosité toujours inquiète, qui a été appelée de ce nom à cause du vain désir qu’elle a de savoir, et que l’on a palliée du nom de science.
« Elle a mis le siège de son empire dans l’esprit, et c’est là qu’ayant ramassé un grand nombre de différentes images, elle le trouble par mille sortes d’illusions[1]
« Que si vous voulez reconnoître quelle différence il y a entre les mouvements de la Volupté et ceux de cette passion, vous n’avez qu’à remarquer que la Volupté charnelle n’a pour but que les choses agréables, au lieu que la Curiosité se porte vers celles même qui ne le sont pas, se plaisant à tenter, à éprouver et à connoitre tout ce qu’elle ignore.
« Le monde est d’autant plus corrompu par cette maladie de l’âme, qu’elle se glisse sous le voile de la santé, c’est-à-dire de la science.
« C’est de ce principe que vient le désir de se repaître les yeux par la vue de cette grande diversité de spectacles : de là sont venus le Cirque et l’amphithéâtre, et toute la vanité des tragédies et des comédies : de là est venue la recherche des secrets de la nature qui ne nous regardent point, qu’il est inutile de connoitre, et que les hommes ne veulent savoir que pour les savoir seulement ; de là est venue cette exécrable curiosité de l’art magique[2].…

  1. J’abrège en renvoyant à la page 160 du présent volume (liv. II chap. XI), où j’ai déjà rendu Jansénius sur ce point
  2. Je suis ici pour présenter et rappeler tous les points de vue Jansenius, en parlant ainsi, ignorait une grande chose un grand progrès de l’esprit humain : ce qu’il ne considère que comme des futilités vaines de recherche et des curiosités éparses, devient à un certain moment, et après un certain nombre d’observations suffisantes, rapport nécessaire et loi dans l’esprit du savant. Or la connaissance de ces lois mécaniques, chimiques et physiologiques de l’univers est souvent le plus grand obstacle à la croyance du chrétien, ou même à celle du métaphysicien théiste. C’est là un obstacle plus fort et plus insurmontable que celui de la conduite relâchée et des mœurs ; c’est l’obstacle intellectuel et non plus charnel, c’est l’objection la plus impossible peut-être à déloger d’un esprit ou elle s’est une fois installée et comme naturalisée. Quelqu’un qui s’y connaissait a dit sous une image originale : « Les grands