Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
490
PORT-ROYAL.

elles étoient véritables ; mais nous n’avions pas accoutumé d’en user ensemble de cette façon[1].
« Ils ajoutoient que si, nonobstant cela, je disposois de quelque chose, je les mettrois en procès entre eux, et eux contre tous ceux à qui j’aurois donné mon bien, ce qu’ils assuroient être inévitable, à cause de quelques formalités de justice qu’il falloit garder. Et, pour éviter ce mal, ils me marquoient qu’ils alloient donner ordre à ce qu’il me fût interdit de disposer de mon bien comme n’en ayant point de pouvoir, me réduisant ainsi pour toutes choses à une petite somme d’argent que j’avois fait venir avant ma vêture, et qu’ils ne savoient pas que j’avois employée par avance à quelques charités.
« Jugez, je vous supplie, ma chère Mère, de l’état où me mirent ces lettres, d’un style si différent de notre manière ordinaire d’agir. Elles m’imposoient une nécessité inévitable, ou de différer ma profession de quatre ans, pour retirer mon bien de l’engagement où il étoit pour la garantie des autres lots de nos partages, sans même savoir si après cela il seroit entièrement libre d’ailleurs, ou de recevoir la confusion d’être reçue gratuitement, et d’avoir le déplaisir de faire cette injustice à la Maison. Aussi la douleur que j’en ressentis fut si violente que je ne puis assez m’étonner de n’y avoir pas succombé.»

Mais, dès que la bonne mère Agnès apprend cette affliction, elle envoie quérir la novice, sa fille chérie, et lui dit toutes sortes de raisons pour la consoler : qu’on ne doit être touché que de ce qui est éternel ; que tout ce qui n’est que temporel n’est jamais irréparable, et ne mérite pas d’être pleuré ; qu’il faut réserver ses larmes pour les péchés, les seuls malheurs véritables. Puis, d’un ton de gaieté, et faisant agréablement intervenir l’amour-propre pour le combattre, elle ajoutait qu’il serait honteux à la Maison, et incroyable à ceux qui la connaissaient, qu’une novice (une novice de Port-Royal !)

  1. Elle-même n’en avait pas usé de cette façon, en cédant, lors des partages, beaucoup du sien à son frère.