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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/505

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LIVRE TROISIÈME.

Dieu qu’à beaucoup d’autres, n’empêchent pas qu’on n’agisse au monde comme au monde, c’est-à-dire que le propre intérêt marche toujours le premier. Et c’est de « cela que vous êtes choquée, sans y penser. »

Et par plusieurs exemples, plusieurs histoires de même nature qu’elle lui raconte, elle s’attache à démêler le sophisme du cœur, à lui dénoter la part d’amour-propre dans ses larmes, et à lui montrer (ce que nous avons déjà appliqué à Pascal, adversaire des Jésuites) qu’on ne prend jamais si au vif l’intérêt de la justice que lorsqu’on a été soi-même compris et piqué dans l’injustice. Suivent ces belles pensées sur le monde, et si générales, si vraies de tout temps hors du cloître :

« Voyez-vous, ma Sœur, quand une personne est hors du monde, on considère tous les plaisirs qu’on lui fait comme une chose perdue. Il n’y avoit que deux motifs qui pussent faire agréer à vos parents votre dessein, ou la charité en entrant dans vos sentiments, ou l’amitié en voulant vous obliger. Or vous saviez bien que celui qui a le plus d’intérêt à cette affaire (toujours Pascal) est encore trop du monde, et même dans la vanité et les amusements, pour préférer les aumônes que vous vouliez faire à sa commodité particulière ; et de croire qu’il auroit assez d’amitié pour céder à votre considération, c’étoit espérer une chose inouïe et impossible. Cela ne se pouvoit faire sans miracle ; je dis un miracle de nature et d’affection, car il n’y avoit pas lieu d’attendre un miracle de grâce en une personne comme lui ; et vous savez bien qu’il ne faut jamais s’attendre aux miracles. »[1]

  1. Cet entretien en apprend plus sur les dissipations et le luxe de Pascal à cette époque que tout ce qui est dit ailleurs. On y voit (un peu plus loin) que, malgré ce que sa sœur lui avait cédé de sa part de bien, il n’avait pas encore assez pour vivre selon l’éclat de sa condition. Dans la Vie que madame Périer a écrite de son frère, elle ne touche que légèrement ces circonstances antérieures à la seconde conversion, et dans lesquelles elle-même avait eu ses petits torts. Il n’est que le fond du cloître pour être informé de tout.