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APPENDICE.

mirait tant Voiture, le grand rival de Balzac, aurait bien dû profiter davantage de ce dernier ; elle aurait gagné, jeune, à être une ou deux années à son école.


SUR LA DOCTRINE DE LA GRÂCE.

(Se rapporte à la page 148.)

Il est évident que, s’il n’y avait eu que le gros livre de Jansénius, la doctrine de saint Augustin n’aurait guère fait de prosélytes en France dans le monde et dans la société ; elle ne serait pas sortie de l’école ni de la Sorbonne. Il fallut que M. Arnauld la mît en relief et en lumière, du côté pratique, par son livre de la Fréquente Communion écrit dans une belle langue à laquelle on était d’autant plus sensible qu’on y était moins accoutumé en de pareils sujets ; il fallut aussi qu’il prît soin d’éclaircir autant que possible le point théologique par la traduction des petits Traités de saint Augustin les plus faciles à lire : il n’eut garde d’y manquer ; ces traductions se succédèrent rapidement sous sa plume, et l’on eut, grâce à lui, dans les années suivantes, toute la menue monnaie courante de saint Augustin : des Mœurs de l’Église catholique (1644) ; — de la Correction et de la Grâce (1644) ; — de la Véritable Religion (1647) ; — de la Foi, de L’Espérance et de la Charité (1648), autant de petits manuels indispensables et commodes. Lorsque M. d’Andilly y eut ajouté en 1649 une traduction agréable et coulante des Confessions de saint Augustin, on eut à peu près tout ce qui était nécessaire pour être théologien à peu de frais, pour se préparer en matière de conversion et pour désirer ressembler à quelque degré au grand saint, si dogmatique à la fois et si pathétique, si plein tour à tour de sévérité et de tendresse. Quant à la doctrine même, elle resta toujours (nonobstant toute explication) fort pénible, fort dure, et je ne sais rien qui la résume plus fidèlement, dans sa crudité et sans correctif aucun, que le passage suivant que j’extrais des Mémoires de M. Feydeau. Ce janséniste respectable, esprit étroit, mais fort net, était un catéchiste excellent, et il va nous exposer la doctrine à laquelle il croit et il adhère, absolument comme il la présentait à ses auditeurs. La conversation qui suit eut lieu dans le temps où il était curé à Vitry :

« Le premier jour de mai (1670) nous avons été en procession, nous dit-il, à l’abbaye de Saint-Jacques qui n’est qu’à demi-lieue de Vitry,