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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/549

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APPENDICE.

« On ne peut assez s’étonner, continue le Père Rapin, du soin qu’eurent les Jansénistes de faire à ce défunt un faux honneur d’avoir reçu à la mort ses sacrements, lui qui enseigna toute sa vie la vertu qu’il y avoit de s’en priver en mourant, et qui, ayant été malade d’une fièvre qui dura plus de dix jours et qui l’avertissoit de penser à la mort et de s’y préparer, affecta d’éviter à dessein les sacrements pour faire un exemple en sa personne de cette affreuse dévotion. »

Nous avons là sous les yeux un exemple abrégé et frappant de la charité et de la bonne foi de nos adversaires. Ainsi, voilà un curé, l’abbé de Pons, qui dans sa lettre accuse son collègue d’avoir été corrompu à prix d’argent pour mentir. À s’en remettre même à son dire, appelé auprès d’un mourant, il y joue le rôle d’un espion plus que le ministère d’un consolateur ; il remarque si les femmes de service sont jeunes ou vieilles, afin de le rapporter. Il y a, pour le reste de la déposition, un tel désaccord entre lui et Lancelot que je me borne à le constater. Les deux récits sont inconciliables. Il y a quelqu’un qui ment : lequel est-ce ? D’après l’abbé de Pons, ce sont les domestiques de M. de Saint-Cyran qui vont le chercher ; d’après Lancelot, c’est M. Des Touches, jeune homme de famille, qui va avertir le curé : d’après Lancelot, on a commencé auprès da mourant par le saint Viatique pour plus de sûreté ; l’abbé de Pons se garde bien de le dire, il se tait sur la communion, et il insiste seulement sur ce qu’il n’aurait pu achever l’Extrême-Onction. Mais que devient alors cette grande heure de répit et de connaissance, ce bon intervalle laissé au mourant et qui étonna le médecin M. Pallu ? La discussion du détail échappe ; il faut y renoncer ici comme en la plupart des cas analogues et se borner à opter entre la moralité des déposants. Or, qu’on relise les deux récits : de quel côté est la moralité, le scrupule, le sentiment chrétien, le respect de l’âme humaine, la crainte d’accuser le prochain à faux ? Car remarquez comme l’honnête Lancelot prend soin d’excuser l’erreur première des Jésuites et de la motiver en quelque sorte : il hésite à supposer qu’il puisse y avoir, de leur part, une invention toute gratuite, l’innocent ! — Cet abbé de Pons est le même curé dont le Père Rapin, dans la suite de ses Mémoires, nous dit qu’il était tout dévoué à la Cour, et qu’il rapportait à la reine, dans des audiences secrètes ou par de fréquents avis, tout ce qui se passait dans sa paroisse. Le Père Rapin donne à entendre qu’il fut empoisonné par un ecclésiastique de nos amis ou de notre bord. Il y eut en effet dans l’année 1648, année de la première Fronde, une tentative d’empoisonnement, à ce qu’il paraît bien, sur la personne de ce curé chaud royaliste. Il n’en faut pas plus pour que le Père Rapin insinue son venin de notre côté. Il ne se doute pas, d’ailleurs, de l’odieux des armes qu’il emploie. Il tient à damner, avant tout, nos gens, à vouer cet affreux Saint-Cyran à l’Enfer ; voilà son unique pensée : il n’est pas difficile sur