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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/568

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PORT-ROYAL.

livres, mais à la charge qu’elle auroit connoissance de la distribution ; mais que comme il lui avoit représenté qu’il y avoit des raisons secrètes et très importantes qui empêchoient que cela ne se fit en cette manière, elle lui avoit donné la liberté de faire cette offre sans condition.
« M. de Bagnols répondit que la qualité qu’il avoit en cette affaire ne lui donnoit point d’autre liberté que d’écouter et de rapporter ce qu’il entendoit ; qu’il diroit exactement à M. Singlin ce qu’il venoit d’apprendre, mais qu’en attendant qu’il lui en fît part, il pouvoit dire à M. de Saint-Paul, afin d’aider le zèle qu’il faisoit paroître pour le bien des pauvres, qu’il avoit consulté cette affaire sous des noms empruntés, à des personnes aussi habiles que le pouvoit être M. le Président de Maisons, et qu’il les avoit trouvés d’avis fort contraire au sien ; qu’il y avoit des particularités dans l’affaire, que ce Président ignoroit ; et que quand en justice on verroit sur le dos des papiers déposés des notes de la main du défunt, par lesquelles il paroitroit qu’il avoit pris des intérêts de ses débiteurs pour des sommes notables, il auroit grande peine avec son crédit d’éviter qu’on n’en ordonnât la restitution ; que quant à l’expédient qu’il proposoit de faire passer titre nouvel par les débiteurs, c’étoit une chose qui n’étoit pas en sa puissance et qu’il n’oseroit soutenir devant des personnes de sa profission ; qu’en un mot, après avoir fait tout ce qui étoit en lui pour l’exécution précise de la volonté de feu M. de Chavignv, il conseilleroit à M. Singlin pour le bien des pauvres, et pour prévenir les avantages que la veuve pourroit trouver en l’autorité de MM. de Maisons et d’autres semblables personnes qui l’appuyeroient, de mettre les papiers en des mains si puissantes et si favorables qu’il seroit difficile à cette dame de les retirer avec tout son crédit. M. de Saint-Paul fit attention à tout ce discours et promit de disposer madame de Chavigny à se faire justice en cette rencontre.
« Le 18, les dépositaires ayant arrêté de traiter cette affaire par arbitrage, le 19 ils le proposèrent à M. de Saint-Paul en tels ou semblables termes : « M. Singlin a beaucoup de peine que madame de Chavigny ait pensé qu’on veuille se prévaloir du dépôt pour exiger d’elle par violence quelque somme. Si la tradition des pièces déposées que l’on a ne donne point de droit pour l’exécution de la volonté du défunt, il n’en veut rien. Si au contraire lesdits avantages sont jugés solides, ledit sieur « Singlin ne voudroit pas les faire perdre à ceux que ledit défunt a considérés ; que pour cela il falloit des juges ; que d’en prendre de rigueur, les dépositaires des papiers y trouveroient plus d’avantages, d’autant que leur décharge seroit plus pleine ; mais que, par la considération de la mémoire dudit défunt, il seroit bien aise de terminer cette affaire le plus secrètement qu’il pourroit ; et pour cela, qu’il estimoit qu’il n’y avoit point de voie plus commode que celle d’un arbitrage, lequel il pensoit qu’on pouvoit composer d’une ou deux personnes de justice de part et d’autre, d’autant de docteurs de Sorbonne, et de sa personne qu’on prendroit pour surarbitre. »
« M. de Saint-Paul agréa cette proposition et fit espérer de la faire approuver à la veuve.
Le 20, ce curé rapporta que madame de Chavigny consentoit à l’arbitrage, mais qu’elle ne vouloit aucun compromis ni donner aucune décharge aux dépositaires. M. de Bagnols promit d’en instruire M. Singlin ; mais, afin de le pouvoir faire plus clairement, il demanda l’explication du mot de décharge et dit que, si la veuve pensoit qu’on la demandoit de sa part, il