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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/582

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PORT-ROYAL.

ses aventures de guerre ou d’antichambre, et qui rend la physionomie des hommes et des choses comme il les a vus et comme il s’en souvient. Ne l’accusons point de mensonge ni de falsifier les faits, ni de les agrandir à dessein en vue d’amuser le lecteur : il cause, il s’anime, il est centre dans ses récits, il abonde, comme tout vieux soldat, dans l’énumération de ses services et des injustices du sort. Rien de plus simple, de plus naturel. Quant à Du Fossé, il mériterait peut-être quelque reproche : évidemment il a cru sa tâche plus facile qu’elle n était ; il ne s’est pas dit combien ce rôle de rédacteur en matière historique, et à quelque degré que ce fût, était délicat : il n’a pas consulté son ami M. de Tillemont. Il a eu le tort de n’avoir pas sous les yeux un bon Abrégé chronologique pour le guider et, au besoin, le rectifier, lui et son héros. Nos rédacteurs de Mémoires politiques, les plus mêlés aux événements et les plus autorisés, feraient eux-mêmes bien des bévues et commettraient d’apparentes impossibilités s’ils n’avaient pas sous les yeux le Moniteur. Toutes ces facilités, il est vrai, n’existaient pas alors. Je concède donc très-volontiers qu’aux confusions involontaires du vieillard, Du Fossé aura dû, plus d’une fois, mêler les siennes propres. Mais il y a loin de là à être un menteur et un faussaire.

J’ai déjà présenté par lettre quelques-unes de ces raisons à M. Tamizey de Larroque, qui m’honore de sa bienveillance. Je pourrais insister sur des points particuliers de sa discussion, si ce n’était pas abuser. Il m’a opposé l’autorité de M. Daunou de qui j’ai dit d’abord qu’il avait « épousé de confiance » l’opinion de Voltaire. Je le pense en effet ; car, dans la page où M. Daunou étrangle et jugule Pontis, il vient de citer Voltaire sur les Mémoires de Retz, et il l’avait certainement consulté sur Pontis, quoiqu’il ne le dise pas. M. Daunou, érudit exact, mais qui n’allait presque jamais au fond des choses, n’avait d’ailleurs pas examiné la question par lui-même. Il avait lu d’Avrigny, et il est même assez singulier qu’il ajoute au nom de d’Avrigny celui de Grosley comme témoin à charge contre Pontis. J’ai voulu consulter la lettre de Grosley qu’il indique[1] : loin d’être contraire à Pontis, elle lui est presque toute favorable. Grosley, remarquez-le aussi, était lui-même des plus neufs sur ce sujet et très-peu au courant de la matière ; il va nous le dire. Un exemplaire des Mémoires de Pontis lui était tombé par hasard sous la main :

{{t| « Prévenu contre ces Mémoires, dit-il, par le jugement qu’en porte l’abbé Lenglet qui les a relégués parmi les romans historiques, je ne lus ai lus et ne les connais que depuis deux mois. Quantité d anachronismes, nombre d’invraisemblances palpables, l’histoire de la jolie fille de Negrepelisse, littéralement copiée du roman de Bayard, confirment le jugement de Len-

  1. Journal Encyclopédique, 15 mai 1776, page 136.