Il est mieux toujours de ne se point faire illusion, même dans les matières les plus délicates et les plus chères. Le goût sans doute tient par bien des racines à l’âme ; Vauvenargues a dit : « Le goût est une aptitude à juger des objets de sentiment ; il faut donc avoir de l’âme pour avoir du goût. » Mais Vauvenargues, nous le savons, accorde beaucoup à la nature humaine, et dans sa propre générosité il lui prête un peu. Il serait trop triste que son mot sur le goût fût tout à fait faux ; mais on doit reconnaître qu’il n’est pas entièrement vrai. Malgré ce qu’on aimerait à croire, il faut se résigner à dire : Le goût est un don, comme tous les dons, comme ceux de l’art particulièrement ; c’est un sens singulier que l’exercice cultive, que la pratique aiguise. Il ne paraît jamais plus noble, plus complet, plus véritablement délicat et élevé, qu’au sein d’une nature saintement morale ; mais il se voit souvent très développé chez des natures bien différentes. Une certaine corruption agréable (est-il permis de le confesser ?) n’y messied pas, et en raffine même extrêmement plusieurs parties rares. Pour prendre des noms consacrés et d’un type reconnu de tous, qui donc a plus de goût que M. de Talleyrand ou que César ?
Comme la peinture, comme la musique, comme tous les arts qui se rapportent aux plus délicats de nos sens et dont lui-même il juge, le goût s’applique particulièrement à ce qui plaît, à ce qui sied selon les conditions mortelles. À la mort, quand tous les miroirs se briseront, il se perdra ; il n’y aura plus de goût, et tout ce qu’il avait de bon et de vrai ( s’il y a quelque chose d’absolu) rentrera simplement dans l’idée du Beau et du Vrai éternel.[1]
En attendant, ici-bas, il peut, comme tous les dons et
- ↑ « Videmus nunc per speculum aenigmate : tunc autem facie ad faciem. » (Saint Paul aux Corinthiens, I, chap. 13, vers. 12.)