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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/124

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PORT-ROYAL.

cœur, et surtout celle de l’amour, principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnête… Ainsi l’on s’en va de la Comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, l’âme et l’esprit si persuadés de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien dépeints… »

En écrivant cette page tendre, la plus tendre qu’il ait écrite (j’en excepte à peine celles du Discours de l’Amour), Pascal se souvenait-il d’avoir vu Chimène ? se reprochait-il, comme saint Augustin, les pleurs qu’il avait versés ? S’il m’est échappé de dire que Corneille n’avait pas eu de prise sur lui, je me rétracte : voici le point où son atteinte secrète se découvre[1]. On retrouve chez Pascal une autre observation intime du même genre dans cette pensée, qui semble résumer sa poétique, sa rhétorique insinuante :

« Quand un discours naturel peint une passion ou un effet,

  1. Cette Pensée de Pascal se retrouve identiquement dans le petit volume des Maximes de madame de Sablé, publié aussitôt après la mort de cette dame (1678) ; c’est la LXXXIe et dernière. Est-ce une raison pour la retirer à Pascal, comme le fait M. Cousin (Voir Madame de Sablé, 1854, page 84) ? Madame de Sablé avait fait, il est vrai, un Écrit contre la Comédie ; mais cette Pensée d’une seule page est-elle la même chose que cet Écrit ? Une Pensée de Pascal, relative à ce même sujet qu’elle traitait, n’a-t-elle pu se rencontrer parmi les papiers de madame de Sablé, où on l’aura prise pour une des siennes ? Laquelle des deux choses est la plus probable, qu’on ait trouvé dans les papiers de Pascal une Pensée de madame de Sablé, ou dans les papiers de madame de Sablé (qui était une grande curieuse, comme on sait,) une Pensée de Pascal ? Cette réflexion sur la Comédie n’est point dans le manuscrit autographe de Pascal, mais elle est dans la Copie faite d’après les papiers trouvés dans son cabinet. Enfin, de ce qu’elle n’est point, et ne m’a point paru à moi-même, du ton habituel de Pascal, est-ce une preuve qu’elle n’est pas de lui ? — Dans le doute, je m’en tiens encore à la tradition.