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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/246

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PORT-ROYAL.

voir supprime le bien et le mal moral, Hobbes répond qu’il suffit que la volonté ait produit l’acte, pour que ce caractère moral existe, même quand la volonté serait d’ailleurs forcément déterminée dans ses secrets ressorts. De Maistre dit que les Jansénistes ne soutiennent pas autre chose ; qu’il suffit à leurs yeux qu’un acte soit volontaire pour être réputé libre, même quand il ne le serait pas dans le sens d’une vraie liberté ; et que c’est ainsi que l’homme pour eux se trouve coupable s’il agit mal, même en n’ayant pu agir ni vouloir autrement.

« C’est un étrange phénomène, s’écrie-t-il[1], que celui des principes de Hobbes enseignés dans l’Église catholique ; mais il n’y a pas, comme on voit, le moindre doute sur la rigoureuse identité des deux doctrines. Hobbes et Jansénius étoient contemporains ; je ne sais s’ils se sont lus, et si l’un est l’ouvrage de l’autre : dans ce cas, il faudroit dire de ce dernier : Pulchra prole parens ; et du premier : Pulchro patre satus. »

Je ne vais d’abord qu’à l’intention de ce passage, et cette intention est souverainement injuste, même quand l’idée aurait du vrai ; elle tend à confondre dans une identité odieuse ce qui diffère essentiellement d’esprit et de caractère. Je n’éprouve pour mon compte aucune de ces saintes horreurs contre de certains noms philosophiques, et je ne me signe pas au nom de Hobbes, esprit ferme, s’il en fut. Mais de Maistre, qui avait cette horreur et qui voulait la propager, tend à établir une complicité qui flétrisse le Jansénisme à sa source : là est son tort, là commence presque la calomnie. Nous avons assez lu du livre de Jansénius pour savoir à quoi nous en tenir[2]. Je n’ai rien dissimulé, si l’on s’en souvient, et le nom de Hobbes m’est égale-

  1. De l’Église gallicane, page 31.
  2. Voir dans notre livre II les chapitres X et XI.