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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/266

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PORT-ROYAL.

de Louis XIV, il ose avancer « qu’elle se réduisoit au fond à quelques emprisonnements passagers, à quelques lettres de cachet, très-probablement agréables à des hommes qui, n’étant rien dans l’État et n’ayant rien à perdre, tiroient toute leur existence de l’attention que le Gouvernement, etc., etc. » Je me dispense d’achever la phrase odieuse. De Maistre en cet endroit serait véritablement trop cruel, s’il ne passait pour légèrement distrait : il n’avait certes pas lu ce qu’eurent à subir en ces années de dignes vieillards[1]. On souffre à voir au sein d’un si haut talent le sophisme marcher ainsi dans toute sa splendeur, le sophisme vêtu de pourpre et précédé du glaive.

Napoléon est invoqué par de Maistre, qui cherche partout des autorités pour foudroyer le Jansénisme. On sait que, dans la bouche du grand Empereur, cette bizarre accumulation de termes, « C’est un idéologue, un Constituant, un Janséniste, » signifiait la suprême injure. Et pourquoi donc s’en étonner ? Napoléon ne devait pas plus aimer les Jansénistes (ou ceux qu’il se figurait tels), que Richelieu et Louis XIV en leur temps

  1. Veut-on des noms ? ils se pressent sous ma plume : le Père Du Breuil de l’Oratoire, le patriarche de ces vieillards persécutés, mis d’abord à la Bastille, traîné de citadelle en citadelle, meurt en 1696 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, après quatorze ans de prison ou d’exil. — M. Vuillart, laïque, ancien secrétaire de l’abbé de Haute-Fontaine, enfermé douze ans à la Bastille, meurt l’année même de sa sortie (1715). — Le bénédictin Dom Gerberon, arrêté à Bruxelles, réclamé par Louis XIV, successivement enfermé dans la citadelle d’Amiens et à Vincennes, reste sept années en prison, n’en sort qu’en 1710, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, affaibli de tête, pour mourir l’année suivante. — M. de Valricher, prêtre, enfermé durant sept ans à la Bastille, puis transféré au château de Loches, ensuite à celui de Saumur, et en dernier lieu à Tours, meurt en octobre 1700 à l’Hôpital général de cette ville, après vingt années de captivité ou d’exil. — Leur unique crime à tous était la participation réelle ou supposée dans quelque publication ou correspondance janséniste, et le refus de signer le Formulaire.