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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/279

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LIVRE TROISIÈME.

il l’aurait lue infailliblement, lui aussi, tout solitaire qu’il était. Le manuscrit serait allé le chercher, j’imagine, plutôt que de se passer d’un tel juge, d’un témoin si proche. Je me demande quelle comparaison, quel retour il aurait fait de là à ses propres petites Lettres. Aurait-il senti aussitôt combien la portée de ses traits dépassait le Casuisme et atteignait par delà ? Se serait-il résigné à satisfaire si pleinement et à mettre en si beau train cette élite des libres esprits, ce monde de Ninon, de la reine Christine et de Molière ? Mais à coup sûr, si celui-ci avait quelque part rencontré Pascal, ç’aurait été avec le remercîment des Provinciales à la bouche qu’il l’eût abordé.

Molière était à très-peu près du même âge que Pascal, il avait dix-huit mois de plus ; il ne survécut à Pascal que d’une dizaine d’années : l’un est mort dans sa quarantième année ; l’autre, à cinquante et un ans.

Molière courait déjà la province avec sa troupe de comédiens, quand Pascal faisait ses expériences sur le Vide ; il la courait encore quand paraissaient les Provinciales, et il avait déjà fait l’Étourdi, un si gai et si franc imbroglio, et le Dépit amoureux, une première comédie charmante, quand cette excellente semi-comédie des Provinciales marqua dans sa lumineuse précision la voie des chefs-d’œuvre.

Molière ne vint à Paris avec sa troupe qu’en 1658 ; et dès l’année suivante, par les Précieuses ridicules, il ouvrit sa carrière de gloire. L’année même où les Provinciales avaient paru, il s’était publié d’autres ouvrages, les Plaidoyers de M. Le Maître (nous l’avons vu) qui étaient tombés tout à plat, la Pucelle, tant prônée, de Chapelain, qui avait fait bâiller en naissant, et aussi la Clélie, dont les volumes se continuaient et qui ne cessait d’avoir un succès fou. Les Provinciales et la Clélie étaient les grands succès littéraires de ces années. Ainsi, en ma