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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/286

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PORT-ROYAL.

cette tapisserie, le dessous et le creux de ces planches sur lesquelles il marchait ; mais il ne prenait pas la chose si en glissant que Montaigne, et, comme lui, il ne la coulait pas ; — et il ne la serrait pas non plus comme Pascal, jusqu’à lui faire rendre gorge, jusqu’à la forcer d’exprimer l’énigme. Jeune, il avait irrésistiblement cédé à un double penchant qu’il unissait dans un même transport, l’amour du théâtre et l’amour, — cette même alliance que Pascal a si tendrement exprimée dans une pensée qui veut être sévère[1]. Molière, loin de le craindre, espéra et poursuivit longtemps cet accord des deux penchants ; il ne désirait rien tant que de s’enchaîner par le cœur à quelque objet aimé, sur ce même théâtre où il régnait par le génie. Mais l’amour le leurra, l’insulta, le fit souffrir ; son talent seul lui restait fidèle, avec la gloire : qu’importe ? ce qu’il avoir cru le bonheur s’en était allé. Il se livra de plus en plus par goût, par nécessité, par manière de consolation, à ce talent, à ce génie, qui, à chaque élan, redoublait de ressources et de verve. Mais quand tout. Cour, peuple et Ville, à l’entour, bruissait des applaudissements et des rires qu’il provoquait, — lui, contemplatif, à travers ce mal égayé d’où il tirait pour eux le ridicule et le plaisir, — lui, comme solitaire et morose, voyait le mal profond dans son entière étendue. C’était là derrière, et dans ces tristes ombres de lui-même, que d’ordinaire il habitait. Aussi quelquefois (écoutez !), au milieu de cette gaieté franche et ronde, et à gorge déployée de tout un parterre, un rire perçant s’élevait, une note plus haute que le ton, acre, criante, convulsive : c’était le rire

  1. « Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne, etc. » Voir, précédemment citée, page 113, cette pensée sur la Comédie, qui put être écrite en sortant de voir quelque pièce de Corneille, à un lendemain de Pauline ou de Chimène.