Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
LIVRE TROISIÈME.

pour la rendre représentable, Molière, dont le théâtre ni le génie ne pouvaient chômer, produisait d’autres œuvres, et, dans le Festin de Pierre, qui se joua en 1665, il se vengea de la cabale qui arrêtait le Tartufe, par la tirade de Don Juan au cinquième acte ; l’athée aux abois y confesse à Sganarelle son dessein de contrefaire le dévot : « Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages… » Mais d’autres traits audacieux du Festin, joints à cette attaque, soulevèrent de nouveau et semblèrent justifier la fureur de la cabale menacée ; il y eut des pamphlets violents publiés contre Molière. Il avait affaire à ses Pères Meynier et Brisacier, qui ne manquent jamais.

Pourtant le crédit du divertissant poète montait chaque jour ; sa gloire sérieuse s’étendait : il avait fait le Misanthrope. La mort de la Reine-Mère (1666) avait ôté à la faction dévote un grand point d’appui en Cour. Comptant sur la faveur de Louis XIV, se faisant fort d’une espèce d’autorisation verbale qu’il avait obtenue, et pendant que le Roi était au camp devant Lille, en août 1667, au milieu de cet été désert de Paris, Molière risqua sa pièce devant le public ; il en avait changé le titre : elle s’appelait l’Imposteur, et M. Tartufe était devenu M. Panulphe ; il y avait des passages supprimés. L’Imposteur, sous cette forme, ne put avoir, malgré tout, qu’une représentation ; le premier Président Lamoignon crut devoir empêcher la seconde jusqu’à nouvel ordre du Roi. Molière députa deux de ses camarades au camp de Lille, avec un Placet qu’on a ; mais le Roi maintint la suspension.

Ces divers Placets de Molière au Roi, à propos du