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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/295

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LIVRE TROISIÈME.

doucereuses trop étendues et observées de tout point allaient mieux à la satire et au pamphlet qu’au théâtre. Et puis l’art du Casuisme, de la morale hypocrite, ne visait qu’à dominer en définitive, et à vous mettre à la porte de chez vous : le violent après les doucereux, le Père Tellier après le Père de La Chaise. L’un prépare la voie à l’autre. Pascal ne flétrit si à plaisir les Casuistes accommodants, que parce que Port-Royal avait affaire à des ennemis fort peu commodes et fort persécuteurs. Tartufe, d’ailleurs, sait être accommodant là où il faut ; il l’est pour Orgon, qu’il a tellement ensorcelé :

Chaque jour à l’Église il venoit, d’un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.

Dans la scène délicate du troisième acte avec Elmire, la déclaration amoureuse qu’il lui fait en langage dévot :

L’amour qui nous attache aux beautés éternelles
N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles, etc. ;

cette déclaration confite, toute pétrie de benin et de suave, est assez du même ton au début que celle du Père Le Moine à Delphine ; rappelons-nous l’auteur de la Dévotion aisée et des Peintures morales, de qui Pascal se moque tant.

Tartufe, chez Molière, est un peu pressé : il va un peu vite auprès d’Elmire, ainsi qu’il est nécessaire au théâtre, où les heures et les instants sont comptés. S’il avait un peu plus le temps de s’étendre, de filer sa passion, comme cela se ferait dans un livre et comme La Bruyère certainement l’aurait su ménager, on le verrait pratiquer plus à la lettre les principes de la Dévotion aisée. Avant d’en venir à manier le fichu, il aurait commencé de longue main par excuser la parure chez les femmes encore jeunes ; il aurait dit, par exemple : « De tout temps la jeunesse a cru avoir droit de se parer,