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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/301

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LIVRE TROISIÈME.

les conséquences. La raillerie est comme ces coursiers des Dieux d’Homère : en trois pas au bout du monde. Les Provinciales, le Tartufe et le Mariage de Figaro !

Sans aller si avant, et en ne s’attachant qu’à la forme de l’hypocrisie à son heure, La Bruyère a repris sous main ce portrait du faux dévot ; mais je dirai de son Onuphre comme du Casuiste sans nom des Provinciales : il est trop particulier pour avoir pu devenir populaire. Ce sont des portraits frappants à être vus de près, et éternellement chers aux connaisseurs ; ce ne sont pas des êtres une fois créés pour tous, et destinés à courir le monde à front découvert.

Dans ce brillant et courageux chapitre de la Mode, qui rassemblait tant de traits piquants et directs, à une époque où Louis XIV réformé passait des maîtresses aux confesseurs, se rangeait près de madame de Maintenon, et où il ne s’agissait plus de badinage ; dans cette ferme et fine mosaïque où, entre tant de belles paroles enchâssées, il est dit : « C’est une chose délicate à un Prince religieux de réformer la Cour et de la rendre pieuse…[1], » tout à côté on trouve ce portrait d’Onuphre,

  1. On lit dans les Mémoires de Dangeau, dès l’année 1684, ce commentaire des paroles de La Bruyère :
    « 3 avril. — Le Roi, à son lever, parla fort sur les courtisans qui ne faisoient point leurs Pâques, et dit qu’il estimoit fort ceux qui les faisoient bien, et qu’il les exhortoit tous à y songer bien sérieusement, et ajoutant même qu’il leur en sauroit bon gré. »
    « 21 mai — Le Roi ût, le matin, dans l’église, une réprimande au marquis de Gesvres, sur ce qu’il entendoit la messe irréligieusement. »
    « 26 décembre. — Le major déclara que le Roi lui avoit ordonné de l’avertir de tous les gens qui causeroient à la messe, etc., etc. »

    C’est quatre ans après, et quand ce rigorisme n’avait fait qu’augmenter, que parut la première édition de La Bruyère (1688). Le chapitre de la Mode, d’abord fort court, alla se grossissant insensiblement ; Onuphre ne s’y glissa qu’en 1691, à la sixième édition, et il ne fut au complet que dans la septième (1692). M. Walckenaer a très-bien indiqué comment La Bruyère, emplissant petit à petit ses chapitres, faisait en quelque sorte entrer