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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/311

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LIVRE TROISIÈME.

pathétique et de l’idéal ! la grande poésie française était créée.

Le Tartufe, en particulier, a porté chez nous la comédie aussi haut qu’elle peut atteindre. La puissance du fond n’a permis gain de cause ici à aucune chicane de puriste ; la voix publique a fait loi. Combattue trois fois dans le siècle, cette odieuse chose, l’hypocrisie, qui avait déjà essayé de plus d’un nom, garda pour jamais celui que lui avait attaché Molière. Escobar avait commencé, Tartufe acheva. Onuphre, à vrai dire, n’était déjà plus qu’une curiosité et un hors-d’œuvre.

Mais si elle triompha, comme les Provinciales, par l’esprit, la pièce immortelle eut de même, au plus beau de sa gloire, ses avanies à subir. Elle ne fut pas brûlée par le bourreau ; mais elle eut à lutter contre d’autres essais de flétrissure. On n’avait pas répondu à Pascal, ou bien on lui avait à peine et platement répondu : Molière eut affaire à de plus rudes attaquants, à des réprobations partant de voix et de plumes révérées. Bourdaloue, du haut de la chaire, cria à la piété outragée ; et un jour, au seul nom de comédie et de Molière, Bossuet que nous venons d’appareiller avec lui (profanes amateurs que nous sommes), Bossuet se leva et eut des paroles terribles.

N’ayant ici aucune cause à plaider, et ne cherchant qu’à éclairer chaque aspect de mon sujet, je soumettrai avant tout une réflexion que l’étude de Molière lui-même m’inspire. Qu’en son temps le grand comique ait excité le scandale et l’alarme parmi les âmes sincèrement chrétiennes, qui donc pourrait s’en étonner ? L’estimable Adrien Baillet, bibliothécaire de M. de Lamoignon et ami de nos Jansénistes, élève particulier de M. Walon de Beaupuis et de M. Hermant[1], commence

  1. Il était comme eux du diocèse de Beauvais.