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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/327

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LIVRE TROISIÈME.

n’étaient pas sans quelque reproche dans cette affaire. C’est à eux d’éclaircir le point mathématique. Quant au côté moral, rien ne me fera douter de l’entière bonne foi avec laquelle Pascal dut agir. Le seul reproche que je lui ferai, c’est d’avoir cédé à l’idée un peu ambitieuse du bon duc de Roannès, de s’être laissé persuader qu’il pouvait importer si fort à la gloire de Dieu qu’il y eût, au su de tous, un grand géomètre bon chrétien, et d’être rentré un peu fastueusement dans cette carrière de concours humain, où, quand on recueille une gloire contestée et insultée, on n’a que ce qu’on cherche et ce qu’on mérite. Mais le miracle de la Sainte-Épine venant à sanctionner et à sanctifier le succès des Provinciales, avait un peu exagéré le rôle des personnes[1].

Cette affaire de la Roulette ne fut d’ailleurs qu’un accident passager, une singularité sans conséquence dans cette vie désormais vouée à un seul objet tout différent. On en peut bien juger par une lettre de Pascal à Fermât, qui est d’environ dix-huit mois après. L’illustre géo-

  1. Il est une question que je poserai, et sur laquelle j’aimerais à entendre un mathématicien homme de goût, un de ceux dont l’esprit, comme dit Pascal, est au-dessus de ces matières : Quel est le caractère du génie mathématique de Pascal, si l’on compare ce génie à celui de Fermât, par exemple, ou de Leibniz, ou de d’Alembert ? Quel rapport exact y a-t-il entre son talent mathématique et son talent littéraire ? Ainsi, m’assure-t-on, d’Alembert géomètre ne ressemble pas du tout à d’Alembert littérateur ; il a d’autres qualités (et de très-hautes comme géomètre), mais il n’a pas les mêmes dans les deux cas. En est-il de même de Pascal ? ou bien ces deux génies en lui se tiennent-ils plus étroitement, comme on serait tenté de le soupçonner ; et le Pascal géomètre garde-t-il, en quelque manière, du cachet de l’écrivain ? De ce côté aussi, sans parler de l’invention qui demeure son titre principal, est-ce une perfection de méthode et de forme, une façon de procédé ingénieuse et forte, la netteté suprême ? A-t-il de l’étendue ? En même temps qu’il approfondit et enserre toute une question, n’est-il pas enclin à la circonscrire. etc., etc. ? Heureux ceux qui lisent assez couramment les deux langues de Pascal, pour saisir à première vue ces rapports intimes qui donnent tout l’homme !