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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/341

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LIVRE TROISIÈME.

« La pauvreté, quand elle est bien pratiquée, n’est pas une petite austérité, non-seulement pour le corps, mais aussi pour l’esprit, parce qu’il n’y a rien qui humilie davantage. Par exemple, quand on est malade et qu’on se considère comme pauvre, on voit que rien ne nous est dû, que c’est par pure charité qu’on nous assiste et qu’on nous sert : cela nous oblige de tout recevoir avec actions de grâces, quoique les choses ne soient pas comme nous les voudrions, et d’en avoir de la reconnoissance (à la personne qui nous sert), quoiqu’elle nous serve mal…, Y a-t-ii rien qui soit plus austère et qui porte plus à l’humilité ? Cela fait enrager la nature. »

La mère Angélique parlait ainsi en termes dignes de Pascal[1], et Pascal pensait exactement comme la grande abbesse. Lui pourtant, qui était servi mieux qu’il n’aurait voulu, et qui sentait la tendresse des siens dans leur assistance, ne se trouvait jamais assez pauvre, même étant malade, et il se plaignait, malgré ses maux, que la nature en lui ne pâtît point assez encore ; il ne savait en un mot qu’inventer pour mortifier cette nature, pour la faire enrager encore davantage. — Mais cet homme avec tout son esprit est hors de sens, va-t-on penser malgré soi ; mais c’est lui que Montaigne avait justement en vue, quand il a dit : « D’anticiper aussi les accidents de fortune ; se priver des commoditez qui nous sont en main, comme plusieurs ont faict par dévotion, et quelques philosophes par discours ; se servir soy-mesme, coucher sur la dure,… rechercher la douleur,… c’est l’action d’une vertu excessive[2]. » Revenons donc un moment à la soli-

  1. Voir les Entretiens ou Conférences de la Mère Angélique (un vol., 1757), pages 392, 407. On trouve à la suite les Pensées édifiantes de la Sœur Sainte-Euphémie, dont M. Faugère a donné récemment, un texte plus correct.
  2. Et dans cet autre chapitre où il a l’air de parler des Turcs quand il pense aux Chrétiens : « Nous ne sommes ingénieux qu’à