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PORT-ROYAL.

mensonge ou sans équivoque qu’on les donne au public telles qu’on les a trouvées, sur de méchants petits morceaux de papier, après sa mort ; mais comme ce qu’on y a fait ne change en aucune façon le sens ni les expressions de l’auteur, mais ne fait que les éclaircir et les embellir[1], et qu’il est certain que, s’il vivoit encore, il souscriroit sans difficulté à tous ces petits embellissements et éclaircissements qu’on a donnés à ses Pensées, et qu’il les auroit mises lui-même en cet état s’il avoit vécu davantage et s’il avoit eu le loisir de les repasser (puisque l’on n’y a rien mis que de nécessaire, et qui vient naturellement dans l’esprit à la première lecture qu’on fait de ces fragments), je ne vois pas que vous puissiez raisonnablement, et par un scrupule que vous me permettrez de dire qui seroit très-mal fondé, vous opposer à la gloire de celui que vous aimez. Les autres ouvrages que nous avons de lui nous disent assez qu’il n’auroit pas laissé ses premières pensées en l’état qu’il les avoit écrites d’abord ; et quand nous n’aurions que l’exemple de la XVIIIe Lettre qu’il a refaite jusqu’à treize fois, nous serions trop forts, et nous aurions droit de vous dire que l’auteur seroit parfaitement d’accord avec ceux qui ont osé faire dans ses écrits ces petites corrections… C’est, Madame, ce qui a fait que je me suis rendu au sentiment de M. de Roannez, de M. Arnauld, de M. Nicole, de M. Du Bois et de M. de La Chaise, qui tous conviennent d’une voix que les Pensées de M. Pascal sont mieux qu’elles étoient, sans toutefois qu’on puisse dire qu’elles soient autres qu’elles étoient lorsqu’elles sont sorties de ses mains, c’est-à-dire sans qu’on ait changé quoi que ce soit à son sens ou à ses expressions ; car d’y avoir ajouté de petits mots, d’y avoir fait de petites transpositions, mais en gardant toujours les mêmes termes, ce n’est pas à dire qu’on ait rien changé à ce bel ouvrage. La réputation de M. Pascal est trop établie pour que le public s’imagine, lorsqu’il trouvera ces fragments admirables et plus suivis et plus liés, si vous voulez, qu’il n’appartient à des fragments, que ce soient d’autres personnes que M. Pascal qui les ayent mis en cet état[2] ; cette pensée ne vien-

  1. Embellir Pascal ! cela fait peine à entendre. Passe pour l’éclaircir ; par endroits, ce pouvait être nécessaire.
  2. Nous touchons ici à la vraie pensée de madame Périer et de