Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
LIVRE TROISIÈME.

absolument bon de changer, on les fera convenir de laisser les autres comme ils sont. Mais souffrez, Monsieur, que je vous dise qu’il ne faut pas être si difficile ni si religieux à laisser un ouvrage comme il est sorti des mains de l’auteur, quand on le veut exposer à la censure publique ; on ne sauroit être trop exact[1] quand on a affaire à des ennemis d’aussi méchante humeur que les nôtres. Il est bien plus à propos de prévenir les chicaneries par quelque petit changement qui ne fait qu’adoucir une expression, que de se réduire à la nécessité de faire des apologies. C’est la conduite que nous avons tenue touchant les Considérations sur les Dimanches et les Fêtes de feu M. de Saint-Cyran, que feu Savreux a imprimées ; quelques-uns de nos amis les avoient revues avant l’impression ; et M. Nicole, qui est fort exact, les ayant encore examinées depuis l’impression, y avoit fait faire beaucoup de cartons[2]. Cependant les Docteurs, à qui je les avois données pour les approuver, y ont encore fait beaucoup de remarques, dont plusieurs nous ont paru raisonnables, et qui ont obligé encore à faire de nouveaux cartons. Les amis sont moins propres à faire ces sortes d’examens que des personnes indifférentes, parce que l’affection qu’ils ont pour un ouvrage les rend plus indulgents sans qu’ils le pensent et moins clairvoyants. Ainsi, Monsieur, il ne faut pas vous étonner si, ayant laissé passer de certaines choses sans en être choqués, nous trouvons maintenant qu’on les doit changer, en y faisant plus d’attention après que d’autres les ont remarquées… »

  1. Les idées sur l’exactitude étaient si différentes, qu’Arnauld appelle être exact ce qui nous semble précisément de 1’infidélité. De tout temps l’exactitude chrétienne a mené au sacrifice littéraire.
  2. Nicole, le grand réviseur et repasseur, ne cessa dans aucun temps de faire cet office, qu’on sollicita de lui jusqu’à la fin de sa vie : « Il seroit bon que cet ouvrage fût revu (lui écrivait-on aa sujet des Prières de M. Hamon). M. de Pontchâteau avoit toujours cru que personne n’en étoit plus capable que vous, et qu’il n’était pas bon de laisser les Écrits de M. Hamon sans cette révision, parce que ses pensées sont quelquefois outrées et trop fortes. » (Lettre de la Sœur Elisabeth de Sainte-Agnès Le Féron à M. Nicole, du 12 janvier 1693.)