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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/391

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LIVRE TROISIÈME.

saint Augustin, il n’y a point en nous de justice qui soit essentiellement juste, et qu’il en est de même de toutes les autres vertus, » ne me satisfait point ; car vous reconnoitrez, si vous y prenez bien garde, que M. Pascal n’y parle pas de la justice vertu, qui fait dire qu’un homme est juste, mais de la justice quæ jus est, qui fait dire qu’une chose est juste, comme : Il est juste d’honorer son père et sa mère, de ne point tuer, de ne commettre point d’adultère, de ne point calomnier, etc., etc. Or, en prenant le mot de justice en ce sens, il est faux et très-dangereux de dire qu’il n’y ait rien parmi les hommes d’essentiellement juste ; et ce qu’en dit M. Pascal peut être venu d’une impression qui lui est restée d’une maxime de Montaigne, que les loix ne sont pas justes en elles-mêmes, mais seulement parce qu’elles sont loix. »

J’abrège ; mais on comprend de quel ordre est l’objection. On le comprendra mieux encore en lisant les passages complets de Pascal sur ce qu’on appelle la justice humaine, même la justice naturelle[1]. Dans l’état

  1. Voir dans l’Édition de M. Faugère les pages 126-129 du tome II. — Une circonstance singulière est venue, depuis, ajouter un dernier et parfait éclaircissement à l’objection d’Arnauld. Cette objection portait, on vient de le voir, sûr un endroit de la page 293. Il est vrai que, si l’on regarde à la page 293 de la première édition des Pensées (1670), on n’y voit rien précisément sur ce sujet de la justice. C’est que le passage a été retranché. Eh bien ! par le plus grand des hasards, il a été retrouvé un exemplaire épreuve des Pensées à la date de 1669. Cet exemplaire, qui appartenait primitivement au docteur Salacroux, a été acquis en 1851 par la Bibliothèque Nationale, et la collation de ce volume avec l’édition publique des Pensées est propre à initier de plus en plus au travail de révision auquel les éditeurs se sont livrés jusqu’au dernier moment. C’est ainsi que, regardant à la page 293, on y trouve le passage suivant sur la justice, lequel en effet a été supprimé par le conseil d’Arnauld : « J’ai passé long temps de ma vie en croyant qu’il y avoit une justice, etc… » (Voir à la page 129, tome II de l’Édition de M. Faugère.) L’exemplaire de M. Salacroux n’était point connu lorsque M. Faugère donnait son Édition ; mais cet éditeur original et qui ne laisse rien passer l’a