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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/401

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LIVRE TROISIÈME.

M. Pascal. Il faut néanmoins que je vous avoue, Monsieur, que je n’en avois pas encore l’idée que je devois. Ce dernier Écrit a surpassé ce que j’attendois d’un esprit que je croyois le plus grand qui eût paru en notre siècle ; et si je n’ose pas dire que saint Augustin auroit eu peine à égaler ce que je vois, par ces fragments, que M. Pascal pouvoit faire, je ne saurois dire qu’il eût pu le surpasser : au moins je ne vois que ces deux que l’on puisse comparer l’un à l’autre. »

Pascal égalé à saint Augustin dans la bouche de Tillemont et d’un Port-Royaliste, c’est tout !

Malgré le nombre et la vivacité des Approbations premières[1], on a cru remarquer après coup, au désavantage des Pensées, qu’elles n’avaient pas expressément pour elles quelques-uns de ces suffrages imposants qui sont devenus comme des religions en France, et qu’elles étaient rarement invoquées dans les controverses régulières du grand siècle. Il y a ici plus d’une observation à opposer. Pascal n’était pas un théologien de profession, un homme du métier ; et, de plus, son livre n’offrait qu’une suite inégale de fragments. On conçoit donc que des prélats, à moins d’être très-directement unis à Port-Royal, aient évité de recourir à lui comme à une 1.

  1. Parmi les Approbations imprimées en tête du livre, on distingue celle d’un homme peu connu, mais qui rend bien vivement l’impression reçue de cette lecture : « J’ai lu avec admiration ce livre posthume de monsieur Pascal. Il semble que cet homme incomparable non-seulement voit, comme les Anges, les conséquences dans leurs principes, mais qu’il nous parle comme ces purs Esprits, par la seule direction de ses pensées. Souvent un seul mot est un discours tout entier… » (M. de Ribeyran, archidiacre de Cominges.) La fin de l’Approbation de M. de Ribeyran a paru empreinte de quelque exagération, quand il prétend que la brièveté de ces fragments est plus lumineuse que n’aurait été le discours entier et étendu, et Tillemont l’a relevé sur ce point. Ce M. de Ribeyran n’avait pas tout à fait tort en un sens, et ces éclairs pressés, comme il les appelle, s’ils ne découvrent pas mieux les vérités que Pascal avait à cœur de produire, nous font mieux voir et plus à fond Pascal lui-même.