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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/419

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LIVRE TROISIÈME.

à peine. Qu’on me permette une comparaison physique. Pascal considère la nature humaine comme une source tombée d’en haut, et il s’agit de la faire remonter du fond de l’abîme à sa hauteur originelle. Pour cela il conçoit tout un appareil de machines et de ressorts surhumains (l’Ordre spirituel, l’Ordre de charité). Voltaire, qui considère la source comme sortie de terre un peu au hasard, la laisse courir de même, et ne prend pas trop garde si elle s’égare ; car, les jours où il accorde le plus à l’influence céleste, il dira :

Le Ciel, en nous formant, mélangea notre vie
De désirs, de dégoûts, de raison, de folie,
De moments de plaisirs et de jours de tourments :
De notre être imparfait voilà les éléments ;
Ils composent tout l’homme, ils forment son essence,
Et Dieu nous pesa tous dans la même balance[1].

C’est là son explication et sa Genèse dans les jours de grand sérieux. Tout part du même et revient au même. Seulement on peut trouver que pour ce résultat le Ciel est de trop, et que la nature suffit.

Que la vérité du fond soit où l’on voudra ! Qui suis-je pour trancher ici de la vérité absolue ? Mais, à ne voir que le résultat moral, je sens, et chacun avec moi sentira, d’un côté, une opinion qui, sous prétexte d’être naturelle, rabaisse l’homme comme à plaisir et s’amuse à son néant ; de l’autre, une doctrine qui, humble à la fois et généreuse, exige beaucoup de la nature humaine, et qui met tout son effort, tout son tourment à l’élever.

Le livre de M. Boullier fut accueilli avec égards et avec reconnaissance par les Jansénistes, qui n’auraient

  1. À la fin du premier des Discours sur l’Homme.