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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/461

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LIVRE TROISIÈME.

même des respects pourrait encore être un blasphème. Faisons du moins un écho fidèle, en redisant sans réserve et avec abondance de cœur ces paroles que rien ne désavouera : « Quand il n’y auroit point de prophéties pour Jésus-Christ, et qu’il seroit sans miracles, il y a quelque chose de si divin dans sa doctrine et dans sa vie, qu’il en faut au moins être charmé, et que, comme il n’y a ni véritable vertu ni droiture de cœur sans l’amour de Jésus-Christ, il n’y a non plus ni hauteur d’intelligence ni délicatesse de sentiment sans l’admiration de Jésus-Christ[1]. » — Chez Pascal, dans cette partie de son livre ou de son Discours, c’est l’amour qui domine, qui rayonne. Le mystère de Jésus le saisit et le ravit. Quel amour débordant ! quelle tendresse ! quelle fusion de tout en l’unique Médiateur ! Ce livre des Pensées, dans son ensemble, si revêtu d’éclat, si armé de rigueur et comme d’épouvante au dehors, et si tendre, si onctueux au fond, se figure à mes yeux comme une arche de cèdre à sept replis, revêtue de lames d’or et d’acier impénétrable, et qui, tout au centre, renferme à nu, amoureux, douloureux, joyeux, le cœur le plus saignant et le plus immolé de l’Agneau. Saint Jean, l’Apôtre de l’amour, eut-il jamais plus de tendresse et de suavité sensible que cet Archimède en pleurs au pied de la Croix ?

« Jésus-Christ est un Dieu dont on s’approche sans orgueil, et sous lequel on s’abaisse sans désespoir.

  1. C’est M. de La Chaise dans sa Préface, et à titre de rapporteur, qui dit cela ; on croit y sentir l’accent d’un plus éloquent que lui. Et en effet, depuis la venue du Christ, la moralité humaine a fait un pas, dont les incrédules eux-mêmes sont forcés de tenir compte ; le nouvel idéal d’une âme parfaitement héroïque a été trouvé et proposé devant les hommes. Ceux qui le nient absolument en portent la peine. Prenez les plus grands des modernes anti-chrétiens, Frédéric, La Place, Goethe : quiconque a méconnu complètement Jésus-Christ, regardez-y bien, dans l’esprit ou dans le cœur il lui a manqué quelque chose.