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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/47

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LIVRE TROISIÈME.

Théologiens, et reconnaît avec lui deux espèces de Grâces : « Je reconnois avec le même Saint que le Juste a toujours le pouvoir d’observer les Commandements de Dieu, qui lui est donné par la première sorte de Grâce, mais qu’il n’a pas toujours cette seconde sorte de Grâce qui est le secours qui meut l’âme, et sans lequel néanmoins ce Saint enseigne que l’homme, quelque juste qu’il soit, ne sauroit faire le bien. » C’est ainsi que dans cette lettre Arnauld en passait par l’opinion tant moquée de Pascal, par la doctrine de cette Grâce qui est suffisante sans l’être. Il y proteste de nouveau qu’il condamne les cinq Propositions, en quelque livre qu’elles se trouvent sans exception, ce qui enferme celui de Jansénius. Enfin cette fière intelligence d’Arnauld s’incline autant qu’elle le peut et en pure perte ; cela fait souffrir[1].

C’était une condamnation, une flétrissure qu’on voulait. Il fut condamné le 14 janvier, sur la question de fait, à la pluralité de cent vingt-quatre contre soixante et onze ; quinze voix restèrent neutres. Il y eut bien quelque doute sur l’exactitude parfaite du chiffre : ce fut le Syndic qui compta. Le docteur Rousse réclamait l’appel nominal (vocentur propriis nominibus) ; mais le Chancelier passa outre. Restait à entamer la question de droit. Il paraît que, vers ce second temps, les Thomistes de l’Assemblée, de qui pouvait dépendre la majorité selon le côté où ils pencheraient, furent un moment en

  1. Il y a plus, cela fait saigner. Les cris de cette vérité aux abois, et devenue si modeste, sont déchirants. « Faut-il donc, s’écrie-t-il dans ces contrariétés apparentes, si fort enchaîner la vérité à l’extérieur des syllabes : apicibus verborum ligandam non esse Veritatem !  » Et quand il voit que tout est inutile et que les satisfactions ne sont pas reçues, il se contente de répondre ces belles paroles : « Il est quelque chose en moi où la fureur de la persécution ne peut atteindre, c’est l’amour pour mon Dieu qu’ils ne sauoient arracher de mon cœur : Non auferent Deum meum de corde meo ! »