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LIVRE QUATRIÈME.

rité. Il avait fondé sur ce jeune homme des espérances d’ambition ; il voulait le faire héritier de ses honneurs et de ses biens, le former peut-être aux affaires et aux choses du gouvernement[1]. Quoi qu’il en soit, les Jésuites durent attendre que ce fâcheux éclat fût un peu amorti pour revenir à la charge contre leurs rivaux de Port-Royal et les accabler. Ils eurent quelque temps l’oreille basse, comme on dit vulgairement[2].

Deux ans après, les circonstances étaient redevenues propices : la dispersion des dernières Écoles n’était plus qu’un détail dans l’ensemble des mesures adoptées contre Port-Royal. Le 10 mars 1660, le lieutenant-civil revint au Chesnai et dispersa tout. Ce fut la fin. — De

  1. Voir les Mémoires de la grande Mademoiselle.
  2. Il faut convenir que les ennemis des Jésuites firent, à ce sujet, de fort mauvaises plaisanteries et fort indécentes. Le jeu de berne y prêtait. On vit un matin sur la porte de leur Collège cette inscription : Les Pères du canton de Berne. Nos historiens jansénistes ont aussi le tort de trop voir dans cet accident le doigt de Dieu, selon l’habitude des croyants qui tirent à eux Dieu et le Ciel dans le sens de leurs passions et de leurs intérêts. M. Hermant, qui est très-sujet à ce défaut dans son Histoire du Jansénisme, remarque cependant avec raison la singularité de l’Églogue du Père Rapin sur la mort du jeune Alphonse qu’il fait célébrer par des bergers et qui se termine par une glorieuse apothéose comme pour Daphnis. Le jeune Alphonse transfiguré leur est apparu un soir du milieu des astres :

    Credita res laetis pastoribus : illa per agros
    Fama volat, totis pastorum carmina silvis
    Certatim Alphonsum celebrant ad sidera raptum.

    Il n’y avait point là, ce semble, de quoi tant se réjouir. Selon M. Hermant, ces jeunes pastoureaux du Père Rapin sont par trop virgiliens et « fort différents de ceux que la musique des Anges avoit conduits à la crèche de Jésus-Christ la nuit même de sa naissance » et le jour de l’accident. On discerne pourtant, dans les deux Élégies du professeur versificateur sur son cher élève, à travers toutes les réminiscences et les centons habituels, des accents et des mouvements de sensibilité.