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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/492

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PORT-ROYAL.

on a d’ordinaire agi dans l’éducation comme si l’on n’y croyait pas, et comme s’il n’y avait qu’à aider la nature. Les trois quarts des Chrétiens sont pélagiens en fait d’éducation, presque autant que le Vicaire de l’Émile.

Les Jésuites n’attestent pas moins par leur méthode d’éducation qu’ils sont semi-pélagiens tendant au Pélagianisme pur, que par leur doctrine directe. Leur système d’éducation a été une transaction, une tentative continuelle d’accommodement avec le siècle. — Saint-Cyran et Port-Royal, au contraire, restèrent exactement conséquents à leurs doctrines, dans leurs Écoles.

Ces motifs mêmes, que je viens de définir et de résumer, se trouvent exposés, d’après M. de Saint-Cyran, dans un petit Écrit qu’on a de M. de Sainte-Marthe, et dans quelques pages de M. Walon de Beaupuis. Le vif sentiment de charité envers l’enfance y respire trop visiblement pour que je ne cite pas les propres paroles de ces bons et dignes maîtres :

« Voici les raisons (écrit M. de Sainte-Marthe) qu’on avoit d’établir de Petites Écoles, pour y élever les jeunes gens dans la crainte de Dieu.
« Il n’y a que trop de sujet de gémir, de voir que les enfants des Chrétiens ne fassent paroitre presque aucune marque de la Grâce qu’ils ont reçue dans le baptême. Aussitôt


    soin d’assistance, — nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance, et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation. » Rappelons enfin les belles et tristes paroles de Lucrèce et de Pline sur l’homme jeté nu sur la terre nue, sur l’enfance rampante à terre et vagissante :

    Tum porro puer, ut sævis projectus ab undis
    Navita, nudus humi jacet infans……

    Le point de vue de Saint-Cyran et de Port-Royal ne fait que s’emparer de cette sombre observation morale sur l’enfance, et n’est que le point de vue chrétien dans sa plus haute concentration.