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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/546

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PORT-ROYAL.

inventée à dessein dans toutes ses parties par les hommes, afin de l’expliquer raisonnablement[1].

Arnauld oublie que la parole n’a pas été inventée de cette sorte par l’homme, qu’elle n’a pu l’être avec ce dessein tout philosophique, ni de toute pièce ; mais enfin rien n’empêche de partir de sa supposition pour se rendre compte raisonnablement des choses.

Il serait inutile aujourd’hui de venir donner de cette Grammaire une analyse qui se réduirait à un extrait. Thémiseul de Saint-Hyacinthe l’a pu faire de son temps, quand le livre avait sa nouveauté[2]. Comme caractère original, ce qui nous paraît à y remarquer, c’est que si, dans l’enseignement particulier des langues, Port-Royal se séparait de l’Université d’alors par la raison dégagée de la routine, il se séparait ici de l’Académie française par la raison encore, et par une philosophie qui ne s’en remettait pas purement et simplement au dernier usage, au bel usage, mais qui entendait s’en rendre compte.

Arnauld n’avait pas été sans faire pressentir MM. de l’Académie sur quelques points de sa Grammaire, notamment sur les sujets traités dans les chapitres VII et X de la seconde partie[3]. La consultation s’était faite en 1659,

  1. Ainsi dès le début : « Parler est expliquer ses pensées par des signes que les hommes ont inventés à ce dessein. — On a trouvé que les plus commodes de ces signes étoient les sons et les voix… » — Comparer avec le beau passage de Lucrèce (liv. V, 1027), où le poète décrit cet immense effort de l’instinct partout aux prises avec la nécessité :

    At varios linguæ sonitus Natura subegit
    Mittere, et utilitas expressit nomina rerum, etc.

  2. Voir ses Mémoires littéraires, publiés aussi sous le titre de Mathanasiana.
  3. Le chapitre VII traite des articles soit définis, soit indéfinis ; si un et une n’ont pas un pluriel, contre l’opinion commune, etc. — Le chapitre X traite d’une Règle de la Langue française, que Vaugelas avait promulguée le premier, et qui est qu'on ne doit pas