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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/604

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PORT-ROYAL.

dit qu’ils n’en voulurent rien faire et qu’ils firent leur adieu aux cardinaux Barberin et Pamphile qui les reçurent très bien ; que celui-là les reconduisit extraordinairement jusque dans la salle ; que M. l’ambassadeur leur procura lui-même audience du Pape ; qu’ils sortirent de Rome en plein midi, accompagnés d’un cortège de ses carrosses, etc.
« Le 28 j’ai ouï dire de M. Manessier… que dans Venise on leur disoit qu’ils se défiassent toujours de Rome, tant qu’ils fussent en sûreté ; qu’à Rome, ils ont pour maxime que, quand un homme est déclaré hérétique, ils le peuvent faire assassiner partout en conscience ; que le plus scélérat qui s’offre et se dévoue pour cela est réputé saint ; qu’en disant la messe, on se scandalisoit qu’il étoit trop long, quoiqu’il ne durât qu’une demi heure ; qu’un jour aux Pères de l’Oratoire, un prêtre sacristain se plaignit de lui scandaleusement là-dessus et que le voyant revenir de l’autel, il lui dit deux grosses injures et qu’il lui reprocha de faticare tota la chiesa, d’avoir lassé toute l’assistance et été cause de plusieurs péchés ; que c’étoit le jour du Saint-Sacrement et qu’à la procession qui se fit ensuite on le montroit au doigt comme celui qui est si long ; que les Italiens disent la messe avec beaucoup d’indévotion apparente et en un quart d’heure au plus….
« Il nous dit encore dans l’assemblée que chez le cardinal Spada il y a dix ou douze tableaux couverts et qu’en leur montrant les autres peintures, vint un coup de vent qui tira tous les rideaux et leur découvrit des femmes toutes nues sur ces tableaux ; qu’à Venise, étant allés voir un couvent de religieuses dites de Saint-Laurent, ils virent derrière l’autel qui est au milieu de l’église de grandissimes grilles tout ouvertes et qu’étant aperçus de loin, accoururent à eux quelques religieuses pour les entretenir avec la gorge et la poitrine découvertes, un petit voile en forme de coeffion sur la tête, les manches de leurs chemises nouées en bas avec des rubans de couleur, enfin avec si peu de pudeur que nos docteurs se retirèrent sans les vouloir entretenir ; que s’en étant plaints à M. d’Argenson, ambassadeur, il leur avoit dit que c’est peu de chose au prix de ce qu’il a vu (ici l’histoire de l’habit blanc et du noir, du jugement du patriarche, de l’appel à Rome, etc.[1])….
« Le valet dudit sieur Manessier m’a dit que ces messieurs n’avoient point été par Lorette à cause que le Père G. (Guérin ?) ne témoigna pas en avoir inclination, qu’il en tient l’histoire pour fable ; qu’il tenoit suspectes la plupart des reliques qu’on leur montroit. Sur quoi madame de Liancourt me disoit que depuis peu à Rome on tire les corps des catacombes ; que le Pape leur donne un nom de saint, et qu’après on les débite pour des reliques ; que la mademoiselle de Guebriant en avoit rapporté an tout entier de son voyage, et qu’ils tenoient d’elle ce récit… »
De tous ces extraits que je pourrais multiplier encore, on conclut aisément l’état des esprits pour et contre, on assiste aux conversations des docteurs en la salle de Sorbonne ou dans leur cabinet ; on a, si je puis dire, l’air du bureau. La grande objection et imputation faite aux Jansénistes était toujours leur cousinage avec le Calvinisme. Quelques-uns, en effet, y continaieiit ou le côtoyaient.

  1. Nous n’avons, par malheur, que les têtes de chapitre de ces histoires qui devaient ressembler à des contes de Boccace.