Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
627
APPENDICE.

sa vie quelques bévues assez singulières (voir le Menagiana, tome I, p. 209, et Niceron, t. XXVII, p. 137) ; une fois, notamment, il avait pris Κυθήρη, Cythérée, Vénus, pour κιθάρη, harpe. Celui qui ne commet jamais de bévues est celui qui n’écrit jamais. Toutes ces remarques du Père Vavassor, et qu’il avait mis quatorze mois à élucubrer, étaient exprimées tout juste en français et avec des vestiges d’habitudes latines : De par Apollon, Monsieur le Réflexif, tout maintenant pour tout à l’heure. Le Père Rapin, en y répondant, fit le dégagé et prit des airs de critique transcendant qui confesse avoir eu de petites distractions, mais qui ne descend pas à se justifier. Il s’exécute assez bien, et le plus rapidement qu’il peut sur Apion : « J’avoue, dit-il, que par imprudence j’ai pris Apion pour Strabon. » Non, il a pris ἀπιὼν pour Apion, un participe pour un grammairien. — « Comme il s’agissoit dans mon ouvrage de juger presque de tous les ouvrages de poésie qui se sont faits depuis 3000 ans dans toutes les langues, et établir sur ce jugement une Poétique réglée, étoit-ce à un grammairien qui n’est propre qu’à confronter des passages, à interposer son jugement dans une affaire qui passoit si fort sa capacité ?… L’on m’arrache la plume des mains, » dit-il en terminant, et comme si ses amis, M. de Lamoignon ou tout autre, lui avaient dit : « Laissez donc là ce critique suranné et borné, vous êtes bien bon de perdre votre temps à lui répondre. »

Le Père Rapin ne s’est donc pas tiré de ce conflit malencontreux avec son rude confrère sans quelques égratignures. Il serait curieux, au sortir de là, de le voir dans sa Correspondance avec Bussy-Rabutin, ce personnage de condition qui se piquait non sans raison de politesse exquise et de belles-lettres. C’était une amie commune, madame de Scudéry, qui les avait mis en relation et en commerce de lettres. Ici tout change de face, et nous avons le Père Rapin comme il était dans le monde : que de respects ! quelle déférence ! que de soumission et de docilité aux moindres observations que Bussy lui fait au courant de la plume ! comme on voit bien le prestige qu’exerçait l’homme de qualité sur le plus mondain des hommes de collège ! Le Père Rapin s’empresse d’accueillir ces légères remarques, toujours assaisonnées de douceurs, avec une tendre reconnaissance et tout à fait en honnête homme : il va au-devant ; il adresse au comte questions sur questions concernant sa Poétique et attend ses réponses comme des oracles. Bussy répond avec une rapidité et une concision qui se trouve très-juste pour les choses qu’il sait bien. Un jour c’est sur le tutoiement que le Père Rapin l’interroge : la consultation ne laisse pas d’être piquante ; il s’agit du tu et du toi dont se servent en vers les poètes :

« Madame la marquise de Sablé m’a dit quelquefois qu’elle ne le pouvoit souffrir. Le latin le dit en vers, parce qu’il le dit en prose ; mais il n’en