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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/74

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PORT-ROYAL.

semble, nos amis jansénistes réunis tous à la sourdine chez l’abbé de Pontchâteau, dont le logis était le lieu de rendez-vous ; ils rient, portes closes, des fausses conjectures des adversaires, et de leur rage à ne pouvoir deviner. Pascal lançant les flèches des Provinciales sans être vu, c’est Nisus dardant ses javelots qui tuent les Rutules près d’Euryale. Mais ici Euryale, c’est-à-dire Arnauld, est sauf, et Nisus échappa. On est en plein succès de stratagème.

Saevit atrox Volscens, nec teli conspicit usquam Auctorem, nec quo se ardens immittere possit.

La seconde Lettre, datée du 29 janvier, ne parut que le 5 février. Elle ne prenait pas encore de front les Jésuites, et n’atteignait derechef que les Jacobins thomistes, le parti de la défection. Cette Lettre et les deux suivantes furent écrites avec la même promptitude que la première ; Pascal avait trouvé sa veine, et il la suivait. Il se donne plus de champ déjà dans cette seconde, et tout n’y est pas de légèreté et d’enjouement comme dans l’autre ; le sérieux commence, et assez ardemment. Il s’agit toujours de cette lâcheté des faibles qui sont pires que les méchants, disait Saint-Cyran, de ce rôle de Ponce Pilate qu’avaient joué les Thomistes dans l’affaire, professant de bouche la Grâce suffisante, et la rétractant, la niant tout bas. En regard de la satisfaction de ce bon Jacobin qui s’écrie : « Et je l’ai bien dit ce matin en Sorbonne ; j’y ai parlé toute ma demi-heure, et sans le sable j’eusse bien fait changer ce malheureux proverbe, qui court déjà dans Paris : « Il opine du bonnet comme un moine en Sorbonne ; » en regard de cette béate jubilation du bonhomme, il y a, dans la bouche de l’ami janséniste, l’éloquente et vive Parabole de l’Église comparée à un homme en voyage, qui est attaqué et blessé