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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/119

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BÉRANGER.


Il s’élevait une profonde voix,
Âme, soupir, émotion guerrière,
Regret aussi de nos antiques droits,
Le tout confus comme un gros de poussière
Que la déroute envoie en tourbillons,
Comme du sang fumant dans les sillons !
C’étaient des ris, des sifflets, juste outrage
Aux faux dévots, rentrés pour convertir,
Aux libertins, prêchant le Roi-martyr ;
C’était la plainte, au milieu du naufrage,
Des gais amours, si longtemps caressés…
L’immense voix, au déclin de l’orage,
En rassemblait tous les sons dispersés.
Deuil tour à tour, et malice, et colère,
Elle planait, puissante et populaire.
Mais, sous ces bruits qui la venaient former,
On ne savait en masse où l’entamer :
Nuée errante, elle hésitait encore :
Nul point brillant ; pas de foyer sonore !

Et jusque-là, jusqu’à ce grand moment,
Avant le soir d’héroïque disgrâce,
Du drame entier, dès le commencement,
Témoin caché dont je poursuis la trace.
D’un coup de foudre à douze ans désigné.
Que faisais-tu, Chantre prédestiné ?
En quel réduit fleurissait ta jeunesse ?
Quels bras aimés t’en sauvaient la rigueur ?
Quels traits malins, t’aiguisant leur finesse.
Gardaient sa flamme à ton glorieux cœur !
Vaste en projets qui ne devaient pas naître.
Sans le savoir, ménageant tes retards.
Tu te crus fait pour la flûte champêtre,
Et ta houlette eut de naïfs écarts.
De Marengo pendait alors l’épée ;
Un Charlemagne aspirait au parvis :