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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/127

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BÉRANGER.

1833.
Chansons nouvelles et dernières[1].

Il est dans l’histoire de l’humanité un premier âge où les poëtes ont exercé une fonction publique, sacrée, un sacerdoce populaire. La poésie alors, orale, vivante, forme naturelle et souveraine, support et enveloppe de tout, de la science, de l’histoire, de la morale, du culte, tenait au fond même de l’existence d’une race, et enserrait, comme en un tissu merveilleux, mœurs, exploits, souvenirs, les dieux et les héros d’une nation. C’était le règne du chant ; le chant qui vole à l’oreille saisie, en s’échappant de la bouche des hommes divins qu’avait doués la Muse, courait sur les masses assemblées, et tendait en mille sens une chaîne ailée, invisible, qui suspendait les âmes. Chaque génération savait et redisait par le chant la tradition du passé, l’augmentant, la variant sans cesse, ignorant l’auteur ou les auteurs de ces poëmes, et les attribuant à des

  1. À côté de la lente et impartiale appréciation qui précède, nous laissons subsister cet autre morceau dans sa vivacité de circonstance.