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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/129

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BÉRANGER

antérieure y mettait obstacle ; la théologie, la grammaire, l’histoire, toute grossière qu’elle était, intervinrent au berceau, et entravèrent mainte fois les couplets de poésie par où s’essayaient les modernes instincts populaires. Dans notre France surtout, de ce côté-ci de la Loire, au sein des provinces centrales et passablement prosaïques de Picardie, Berry et Champagne, il n’y eut guère, à aucune époque, de poésie populaire proprement dite, de poésie vivante et chantée ; seulement la malice des fabliaux circula ; la moquerie, la jovialité de certains mystères, répondirent au bon sens railleur et matois des populations. Une disposition invincible à narguer et à chansonner les gens de loi, les gens d’église, les puissants, le beau sexe et les maris, devint un des traits persistants du caractère national. Rabelais, Molière, La Fontaine, Beaumarchais, puisèrent abondamment dans cette humeur indigène. Au-dessous d’eux, elle eut assez de quoi s’entretenir et s’égayer sur l’orgue de Barbarie, la vielle et l’épinette, aux parades de la foire Saint-Laurent, loin, bien loin du concert adouci et pompeux de la littérature plus noble, qui charmait l’écho des terrasses royales ou les salons des Mécènes.

Toutes les fois que cette littérature noble n’avait pas dédaigné l’autre source réelle et naturelle du fonds national, et qu’elle s’y était franchement trempée, elle y avait acquis une vie et comme une allégresse singulière, et s’était sauvée de l’affadissement. Les quatre grands noms que nous venons de citer sont une preuve de ce que le génie cultivé gagnait à cette alliance. Mais,