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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/137

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BÉRANGER

geonne, parmi les affamés de ces miettes de l’Ogre, dont il nous faut payer la carte, plusieurs ont dû se sentir peu agréablement chatouillés. Ces quatre ou cinq pièces politiques, jointes à tant de délicieuses chansons personnelles, d’une inspiration et d’une fantaisie intimes, telles que Mon Tombeau ; Passez, jeunes Filles ; le Bonheur ; Laideur et Beauté ; la Fille du Peuple, et ce sémillant Colibri, qui est le lutin familier du maître et la personnification éthérée de sa muse comme est la Cigale pour Anacréon ; toutes ces pièces ensemble auraient suffi à composer un charmant recueil final, digne assurément de ses aînés, et la dernière couronne eût brillé verdoyante encore, pour bien des saisons, au front du citoyen et du poëte. Mais, si le volume n’avait contenu que ces deux ordres de pièces, les plus neuves et originales beautés qui illustrent celui-ci y auraient manqué.

Béranger avait déjà tenté précédemment d’élever la chanson jusqu’à un genre de grande ballade historique ou philosophique dont on n’avait pas idée en France auparavant. Les Souvenirs du Peuple et les Bohémiens avaient fait entrevoir tout ce qui pourrait sortir de ce magnifique développement poussé à son terme. Il était seulement à craindre qu’un progrès si tardif, qui transportait et concentrait sur des sujets vastes, presque désintéressés, et dans une atmosphère plus calme, les facultés du poëte, n’allât pas assez loin en richesse abondante et en fertilité majestueuse. Béranger, dans ce dernier volume, en donnant le rôle principal aux chansons et ballades de cette espèce, a su triompher de