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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/272

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m’empêcher de relever, c’est ce qui tient à la logique même, à la série d’idées et de doctrines du grand écrivain. Or, je trouve que, dans ses griefs contre Rome, il n’y a rien dont l’abbé de La Mennais l’ancien, celui d’autrefois, celui même de l’Avenir, pour nous en tenir là, n’eût eu de quoi se jouer si on lui en avait fait matière à objection. Car, que le Pape lui témoignât plus ou moins de bon vouloir, plus ou moins de gratitude pour ses services passés ou bien seulement sévérité silencieuse et sèche indifférence, c’était affaire de politesse et de manières, ce n’est pas de cela qu’il s’agissait avec lui fidèle et croyant. « Il n’existe, dit M. de La Mennais, pour chaque chose qu’un moment dans les affaires humaines, » et, selon lui, 1831 était ce moment. Or, la Papauté, en manquant l’à-propos, et en proclamant alors certains principes politiques serviles, s’engageait dans une voie d’où elle ne pourrait plus revenir en aucun temps. Forcé donc d’opter entre la Papauté, qui s’enchaînait à tout jamais à des principes faux, et l’indépendance absolue, il dut réfléchir beaucoup, dit-il, et aujourd’hui il se déclare émancipé. M. de La Mennais, en raisonnant ici comme le public, comme les philosophes et comme le sens commun, en se faisant lui-même juge du moment décisif pour l’humanité, est devenu semblable à presque tous, à part la supériorité du génie. Aussi, de tous côtés, les Volsques joyeux ont-ils reçu et choyé et poussé à leur tête Coriolan. Puisque l’auteur de l’Indifférence et le comte Joseph de Maistre sont morts, nous ne voyons pas qui le foudroiera.