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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/29

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CHATEAUBRIAND.

Il y a telle page de 1833 qui ressemble plus à telle page de l’Essai que tout ce qui a été écrit dans l’intervalle : les rayons du couchant rejoignent l’aurore.

Ce serait, on le sent, aborder les Mémoires de M. de Chateaubriand par un bien étroit côté, que d’y chercher simplement un récit explicatif qui comblerait les lacunes biographiques et aiderait à compléter une psychologie individuelle. De ses Mémoires, M. de Chateaubriand a fait et a dû faire un poëme. Quiconque est poëte à ce degré reste poëte jusqu’à la fin ; et quoiqu’il écrive en face de la réalité, il la transgresse toujours ; il ne lui est pas donné de redescendre. Mais, chemin faisant, au milieu des peintures et des caractères, des récits enjoués ou des idéales rêveries, les indications abondent : on y sent passer les secrets voilés ; on saisit surtout cette continuité essentielle du héros, qui s’étend du berceau jusqu’à la gloire, qui persiste de dessous la gloire jusqu’à la tombe. Et c’est là, je le dirai, ce qui m’a le plus profondément attaché au milieu de la beauté et de la grandeur vraiment épiques de l’ensemble.

Noble vie, magnanime destinée, à coup sûr, que celle qui se trouve tout naturellement et comme forcément amenée à produire l’épopée de son siècle en se racontant elle-même, tant elle a été mêlée à tout, à la nature, aux catastrophes, aux hommes, tant son rôle extérieur a été grand, bien qu’elle ait gardé plus d’un mystère ! Oh ! quand je m’échappe quelquefois à parler du factice inévitable des rôles humains ; quand j’ai l’air de me plaire à la pure réalité, ce n’est pas que je me