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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/291

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n’avait pour pendant et vis-à-vis que les jolis miracles de la versification delillienne. Mais Lamartine était né.

Ce n’est plus de Jean-Jacques qu’émane directement Lamartine ; c’est de Bernardin de Saint-Pierre, de M. de Chateaubriand et de lui-même. La lecture de Bernardin de Saint-Pierre produit une délicieuse impression dans la première jeunesse. Il a peu d’idées, des systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l’ignorance, qui revient toujours et impatiente un peu ; mais il sent la nature, il l’adore, il l’embrasse sous ses aspects magiques, par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d’un effet musical et qu’il place dans son style comme des harpes éoliennes, pour nous ravir en rêverie. Que de fois, enfant, le soir, le long des routes, je me suis surpris répétant avec des pleurs son invocation aux forêts et à leurs résonnantes clairières ! Lamartine, vers 1808, devait beaucoup lire les Études de Bernardin ; il devait dès lors s’initier par lui au secret de ces voluptueuses couleurs dont plus tard il a peint dans le Lac son souvenir le plus chéri :


Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !


Le génie pittoresque du prosateur a passé tout entier en cette muse : il s’y est éclipsé et s’est détruit lui-même en la nourrissant. Aussi, à part Paul et Virginie, que rien ne saurait atteindre, Lamartine dis-