nifeste dans les œuvres successives a grandi. L’âme du vrai poëte lyrique, après qu’y a pâli l’amour, est comme un Bosphore où le feu grégeois n’illumine plus la nuit, et qui éclaire moins ses rivages, mais qui les réfléchit mieux. Tout poëte-amant dit plus ou moins à son amie :
Aimons-nous, ô ma Bien-aimée,
Et rions des soucis qui bercent les mortels[1] !
Quand la sublime illusion cesse, quand l’amour a revolé
aux cieux, tout le monde d’alentour reparaît, dans
une ombre d’abord, mais bientôt tout s’éclaire comme
d’une aube croissante ; l’humanité reprend sa place
dans l’univers. Le sentiment unique, qui avait tout
laissé désert en s’enfuyant, se retrouve successivement
en beaucoup d’autres sentiments dont chacun est
moindre, mais dont l’ensemble anime et reflète à un
point de vue vrai la création. Que fera le poëte lyrique
alors, sous l’empire de cette faculté immense, plus
calme, mais qui déborde en s’amoncelant, plus désintéressée,
plus froide en apparence, mais si prompte à
s’ébranler au moindre souffle et à rouvrir ses profondeurs
émues ? Oh ! que de sons inépuisables, renaissants,
perpétuels, on entendrait, on noterait, près de
lui, si on l’écoutait dans ses solitudes aux automnes ou
aux printemps ! Que de fleurs les brises commençantes
vous apporteraient sous son ombre ! que de feuilles
demi-mortes, les premiers aquilons ! Car tout lui parle ;
- ↑ Les soucis ne bercent pas, ils rongent, et c’est en effet ce dernier mot que le poëte, s’il m’en souvient bien, avait mis d’abord. On le lui aura fait effacer ensuite comme trop dur. Lamartine ne s’entend pas à corriger.