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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/326

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certaines abondances descriptives ; car on peut dire plus que jamais de Lamartine en ce poëme, comme il dit de certains arbres des Alpes au printemps :


 
La sève débordant d’abondance et de force
Coulait en gommes d’or aux fentes de l’écorce.


Mais, pour un livre déjà lu, dans lequel (comme je le suppose) on reprend, on relit sans cesse ; dans lequel le frère, déjà étudiant, ou la sœur aînée choisit les morceaux à lire à haute voix, le soir, autour de la table à ouvrage, cette abondance, cette richesse extrême, qui laisse au choix tant de liberté heureuse, et qui rassemble en chaque endroit tant de genres de beautés, a bien aussi ses avantages. Des critiques ont remarqué qu’il n’est pas dans Homère une seule beauté mémorable que le divin vieillard ne répète, ne varie en trois ou quatre endroits, au risque souvent de l’affaiblir ; je ne sais s’ils ont conclu de là pour ou contre l’existence d’un Homère. Chez Lamartine, chez celui que je voudrais saluer aujourd’hui comme l’Homère d’un genre domestique, d’une épopée de classe moyenne et de famille, de cette épopée dont le bon Voss a donné l’idée aux Allemands par Louise, que le grand Goethe s’est appropriée avec perfection dans Hermann et Dorothée, et dont Beattie, Gray, Collins, Goldsmith, Baggesen, parmi nous l’auteur de Marie, sont des rapsodes soigneux et charmants, d’inégale haleine ; — chez Lamartine, le plus abondant de tous, on pourrait noter quelque chose de l’habitude homérique dans la reprise fréquente des mêmes beautés, des mêmes images, et quel-