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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/337

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Village, qui accuse, en dépit, des Tityres et des Corydons, les mœurs grossières et la pauvreté hideuse d’une population voisine des côtes, ne nous montre guère le prêtre du lieu que comme trop affairé pour présider au convoi du pauvre, et remettant la prière funèbre jusqu’au prochain dimanche. Il poursuit la même idée de peinture réelle avec plus de détail dans son Registre de Paroisse ; c’est une réaction formelle et déclarée contre l’idéal des Thompson et des Goldsmith. Toutes ces félicités embellies de presbytère ou de chaumière, il ne les a trouvées nulle part ; mais partout des vices, partout des douleurs : depuis le déluge, dit-il, Auburn ni Éden n’existent plus. Dans son poëme du Bourg, les deux portraits du ministre (vicar) et du vicaire ou second (curate) sont des morceaux achevés de précision, de grâce malicieuse, de relief personnel et domestique. La figure fade, douce, souriante toujours, inoffensive et circonspecte, du bon ministre, atteste dans le peintre un moraliste rival des Johnson et des Swift ; jamais l’insignifiance d’un visage n’a pris autant de consistance aux yeux. Ce bon ministre, chez qui la peur est l’unique passion dirigeante, deviendrait, en des temps orageux, le pendant exact du curé Abondio des Fiancés de Manzoni. Quant au vicaire (curate), il est admirable et touchant de vérité naïve : sa science dans les classiques grecs ; sa pauvreté, la maladie de sa femme ; ses quatre filles si belles et si pieuses, ses cinq fils qui s’affligent avec lui ; ce mémoire de marchand, entre deux feuillets, qui le vient troubler au milieu du livre grec qu’il commentait dans l’oubli de