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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/366

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honneur et vertu à se mettre à part dans le petit troupeau des sceptiques, et à dire comme Montaigne : Que sais-je ? ou comme l’égoïste : Que m’importe ? »

Il y a peu de mois, lorsqu’il échappa à un spirituel chef de parti[1], dans la discussion de l’adresse, un mot présomptueux, qui alla atteindre M. de Lamartine sur le banc où il écoutait jusque-là en silence, le noble orateur se leva, et demanda avec émotion qu’on lui laissât du moins, à lui et à ceux qui demeuraient en dehors des querelles du quart d’heure, la dignité de ce silence. Sans avoir aucune autorité pareille, ne serait-il donc pas permis à ceux qui ne sont, qui ne veulent être que littérateurs et poètes, qui croient ainsi servir le monde à leur manière et y remplir leur humble rôle, qui s’y attachent d’autant plus que la vue des intrigues présentes leur donne plus fort la nausée ; à ceux qui écoutent avec bonheur la voix de M. de Lamartine s’élever un moment avec pureté du milieu des récriminations, et qui regrettent qu’elle n’y soit qu’une trêve, ne leur serait-il pas permis de lui demander qu’il leur laissât au moins la dignité de leur silence en politique ? Quoi ! il n’y a pas de milieu entre viser à la Chambre et se faire du troupeau des égoïstes ? On ne pourrait remplir son rôle utile en s’enfermant, non pas dans sa quiétude, mais dans son ministère de poëte et d’écrivain, en gar-

  1. M. Thiers, vis-à-vis de qui M. de Lamartine s’était posé de bonne heure en antagoniste, et qui le lui rendait. Un jour que M. de Lamartine arrivait à la Chambre après la séance commencée, M. Thiers dit assez haut pour être entendu : « Voilà le parti social qui entre. »