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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/395

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VICTOR HUGO.

au prochain recueil lyrique de M. Victor Hugo. Composée il y a un peu plus d’un an, le 23 juin 1830, et empreinte en quelques endroits du cachet de cette date, elle se retrouve, comme tout ce qui émane du génie, aussi vraie aujourd’hui et aussi belle que ce soir-là, quand d’une voix émue et encore palpitante de la création, il nous la récitait, à quelques amis, au sein de l’intimité. Depuis lors, le trône qui conservait une ombre de droit, et auquel M. Victor Hugo s’était rattaché de bonne heure, a croulé par son propre penchant, et le poëte, en respectant la ruine, n’a pas dû s’y ensevelir[1]. Il a compris l’enseignement manifeste de

  1. On lit dans l’ouvrage de Mme Victor Hugo intitulé Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (tome II, p. 341) que, quelques jours après la révolution de Juillet 1830, le poëte qui venait de tenter par Hernani sa révolution au théâtre, ne voulant pas être inconséquent avec lui-même, se rallia hautement au mouvement national par une pièce de vers à la jeune France. Le journal le Globe, qui publia l’ode, la fit précéder de ces lignes non signées, mais qui étaient de moi, et je tiens à honneur de les revendiquer aujourd’hui : « La poésie s’est montrée empressée de célébrer la grandeur des derniers événements ; ils étaient faits pour inspirer tous ceux qui ont un cœur et une voix. Voici M. Victor Hugo qui se présente à son tour, avec son audace presque militaire, son patriotique amour pour une France libre et glorieuse, sa vive sympathie pour une jeunesse dont il est un des chefs éclatants ; mais en même temps, par ses opinions premières, par les affections de son adolescence, qu’il a consacrées dans plus d’une ode mémorable, le poëte était lié au passé qui finit, et avait à le saluer d’un adieu douloureux en s’en détachant. Il a su concilier dans une mesure parfaite les élans de son patriotisme avec ces convenances dues au malheur ; il est resté citoyen de la nouvelle France, sans rougir des souvenirs de l’ancienne ; son cœur a pu être ému, mais sa raison