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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/402

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

coup. C’est à ce séjour au collége des nobles qu’il faut rapporter les combats d’enfants pour le grand Empereur, dont le poëte fait quelque part mention. On ne se battait pas moins qu’à coups de couteau, et l’un des frères de Victor fut grièvement blessé dans l’un de ces petits duels à l’espagnole. En 1812, comme les événements devenaient menaçants à l’horizon, et que les trônes groupés autour de l’Empire craquaient de toutes parts, Mme Hugo ramena à Paris ses deux fils cadets, Eugène et Victor ; l’aîné, déjà sous-lieutenant, demeura avec son père. Elle reprit son logement des Feuillantines, et leur fit achever, sous le vieux M. de La Rivière, leur éducation classique : Tacite et Juvénal furent toujours la moelle de lion dont ils se nourrirent. Les idées religieuses tenaient très-peu de place dans cette forte et chaste discipline. Le fond de la philosophie de leur mère était le voltairianisme, et, femme positive qu’elle était, elle ne s’inquiéta pas d’y substituer une croyance pour ses fils. Tous deux, le jeune Victor surtout, avaient rapporté de l’Espagne, outre la connaissance pratique et l’accent guttural de cette belle langue, quelque chose de la tenue castillane, un redoublement de sérieux, une tournure d’esprit haute et arrêtée, un sentiment supérieur et confiant, propice aux grandes choses. Ce soleil de la Sierra, en bronzant leur caractère, avait aussi doré leur imagination. Victor commença, à treize ans, au hasard, ses premiers vers ; il s’agissait, je crois, de Roland et de chevalerie. Quelques dissidences domestiques, élevées précédemment entre leur mère et le général, et qu’il ne nous appar-