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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/432

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

et tantôt lugubres, tantôt adorablement suppliantes, la voici :

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années,
Pour m’avoir fui si vite et vous être éloignées,
Me croyant satisfait ?

Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?

Et plus loin :

C’en est fait ! son génie est plus mûr désormais ;
Son aile atteint peut-être à de plus fiers sommets ;
La fumée est plus rare au foyer qu’il allume ;
Son astre haut monté soulève moins de brume ;
Son coursier applaudi parcourt mieux le champ clos ;
Mais il n’a plus en lui, pour l’épandre à grands flots,
Sur des œuvres, de grâce et d’amour couronnées,
Le frais enchantement de ses jeunes années.

Et ailleurs, toute la pièce ironique et contristée qui commence par ces mots : Où donc est le bonheur ? disais-je. Infortuné !…

L’envahissement du scepticisme dans le cœur du poëte, depuis ces premières et chastes hymnes où il s’était ouvert à nous, cause une lente impression d’effroi, et fait qu’on rattache aux résultats de l’expérience humaine une moralité douloureuse. Vainement, en effet, le poëte s’écrie mainte fois Seigneur ! Seigneur ! comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait